Voici plus de trente ans qu’Hermann ne s’était plus lancé dans une nouvelle série. Certes, il sortait toujours, quasi annuellement, un nouveau Jeremiah. Certes, malgré la fin du cycle des Tours de Bois-Maury, un opus mettant en scène un descendant du chevalier errant voyait épisodiquement le jour mais celui-ci s’apparentait en somme davantage à un one-shot qu’à une pièce à ajouter au dossier d’une série au long cours. Bref, aucune nouvelle série ne pointait le bout de son nez et Hermann semblait se diriger vers un horizon sans rupture de rythme, à savoir un Jeremiah et un Bois-Maury ou un one-shot. Soit deux albums par année, selon un agenda depuis longtemps établi.
Et pourtant. Au début de l’année 2016, poussé par son fils Yves H., Hermann révise son jugement : il y aura bien une nouvelle série. Et celle-ci prendra le contour d’un western. Duke est lancé.
Pourquoi un western ?
Une envie est parfois difficile à cerner ou à expliquer. Elle s’impose à vous plus que vous ne la choisissez. Elle se glisse en vous à votre insu, comme un rêve au creux de la nuit. Elle semble fugace et pourtant elle persiste, vous démange jusqu’à vous obséder. Sans doute parce qu’elle met à jour un vide qui était en vous mais que vous ne soupçonniez pas, ou peu. Alors vous vous mettez en tête de le combler.
Mais pour cela il faut être deux (du moins quand on a l’ambition de travailler en tandem). Par chance, l’envie était partagée.
Alors pourquoi un western et pas autre chose ? Sans doute parce que le genre épique est celui auquel le style flamboyant d’Hermann se marie le mieux. Et que le western est un genre épique par excellence. Sans doute aussi parce que l’attente d’un nouveau western parmi le lectorat du sanglier des Ardennes est plus intense depuis la fin de la série phare du tandem Hermann-Greg, Comanche.
Un nouveau Comanche ?
Non. Malheureusement pour les afficionados de cette série, cela n’aurait eu aucun sens. Le temps a passé, Hermann n’est plus le même et ses envies ont pris d’autres contours. A l’heure des séries américaines plus réalistes et plus crues que les productions hollywoodiennes des années 60 et 70 dont s’inspirait Greg, un retour en arrière aurait été absurde. Il faut vivre avec son temps et ne pas regarder dans le rétroviseur. Comanche fut une série majeure il y a quarante ans. Elle bouscula bien des idées reçues sur la manière de raconter des histoires au point de choquer une partie de son lectorat de l’époque. Quarante ans plus tard, le cinéma, les séries télé et la BD ont évolué. Les héros ont troqué leur beau manteau blanc de héros vertueux contre des frusques grises et rapiécées. Les héros sont devenus antihéros et se confondent parfois avec les ennemis qu’ils sont censés combattre.
En outre, Hermann avait claqué la porte de Comanche, assez violemment même. On se souvient des anachronismes (voir Comanche) qu’il avait glissés dans le dernier opus, Le corps d’Algernon Brown, fatigué et dépité par le ton que prenait la série, de plus en plus policière et policée, de moins en moins rugueuse et “western”. Greg avait fait le tour de la série. Hermann aussi. Duke se devait de prendre une autre direction. L’univers sombre d’Yves H. ferait le reste.
Duke
Duke est un pistolero d’un genre particulier, qui n’aime pas les armes. Il en éprouve même un profond dégoût. Mais il en a hérité du don : il n’y a pas meilleur que lui dans tout le Colorado, là où commence l’histoire. Et plus précisément à Ogden, ville minière qui, comme tant d’autres avant elle, a poussé comme un champignon au milieu de nulle part dès lors qu’un filon d’or a été découvert. Mais revenons à Duke. Il éprouve un parfait dégoût pour les armes, disions-nous, mais celles-ci le font vivre. Faute d’autre qualité autant lucrative, il est donc forcé d’accepter sa condition d’as de la gâchette. C’est ainsi qu’il offre contre maigre rémunération ses services au bureau du Marshall pour faire régner l’ordre dans cette ville minière qui, comme la plupart de ses congénères de l’Ouest américain, en manque cruellement.
Le premier épisode, sorte d’épisode pilote, se déroule en 1866 et se circonscrit autour de la cité d’Ogden et de ses environs. Ensuite, L’action prend de l’ampleur sur le plan géographique et s’oriente petit à petit vers les états du Sud-Ouest (Nouveau-Mexique, Utah, Arizona). Soit loin du décor de Comanche mais au cœur du terrain de jeu de Blueberry. Histoire quelque part de boucler la boucle. Au total, la série s’étendra sur sept épisodes.
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Le premier tome, La boue et le sang, débute sur un double meurtre commis par un contremaître et ses deux acolytes qui font régner la terreur parmi les employés de la mine. Et cela en toute impunité car Mullins, fondateur et directeur de la société minière qui fait la pluie et le beau temps dans la ville, refuse que les forces de l’ordre mettent leur nez dans ses affaires. Et donc sur le territoire de la mine. De son côté, Duke attend la première occasion pour mettre fin à la carrière criminelle du trio infernal. Celle-ci arrive mais il ignore encore qu’elle va le conduire à se remettre complètement en question et à quitter son poste d’adjoint.
Le second tome, Celui qui tue, fait un saut de deux ans et nous envoie en 1868. Soit quelques années à peine après la guerre de Sécession et juste un an avant la finalisation de la ligne de chemin de fer qui reliera l’Est à l’Ouest des Etats-Unis. Comme le tome 1, et sans sacrifier à l’action, la narration repose sur les relations entre les différents protagonistes, tiraillés entre ambition et fatalisme, entre loyauté et trahison. Dans ce cadre, elle s’intéresse au destin de Duke qui se voit contraint de reprendre du service contre son goût et part sur la piste de braqueurs de diligence aux confins du Nouveau-Mexique. Mais c’est surtout à son passé qu’il va se frotter, douloureusement.
Le troisième tome, Je suis une ombre, ouvre le cycle proprement dit du périple de Duke vers la Californie et de l’acheminement de la somme de 100 000$ à la maison mère du consortium minier dont la société créée par Mullins dépend. Ce voyage, qui est le cœur de la série, n’est pas seulement l’occasion pour les auteurs de multiplier les scènes d’action mais sert également à révéler au personnage de Duke sa véritable nature. Dans Je suis une ombre, Duke voit sa tâche se compliquer sévèrement après l’intervention de son frère Clem et d’une bande de hors-la-loi qui s’emparent de l’argent. Sans compter qu’une nouvelle menace semble poindre à l’horizon…
Voir aussi : Albums
Le quatrième tome, La dernière fois que j’ai prié, continue de suivre le périple de Duke, flanqué de son frère Clem et de Swift, l’envoyé du consortium minier, vers la Californie. L’entrée en scène de nouveaux protagonistes se confirme, dont un étrange ange-gardien et une unité de Buffalo Soldiers bien décidés à en découdre. Quant à l’amie de Duke, Peg, elle se retrouve dans de bien mauvais draps… Dans cet épisode, on découvre également l’émergence de séquences en flashbacks qui révèlent le passé de Duke.
Le cinquième tome, Un pistolero tu seras, suit en parallèle la destinée de Peg, celle de Duke adulte en marche vers la Californie et celle du jeune Duke aux mains de son mentor, M. King, un directeur d’orphelinat d’un genre très particulier.
Le sixième et avant-dernier opus de la série, Au-delà de la piste, voit le duo composé de Duke et de Swift pénétrer l’enfer du désert du Nevada en compagnie de ce qui reste de l’unité de Buffalo Soldiers lancée à la poursuite des rebelles Blair et Copeland. Leur progression est suivie de loin par Oakley Oakes que sa femme a envoyé abattre Duke pour venger la mort de leur fils. En parallèle est dévoilé le parcours du jeune Morgan Finch que King façonne pour en faire un tueur à sa solde, du nom de Duke…
Le septième et ultime épisode de la série, Ce monde n’est pas le mien, voit l’affrontement final entre Duke et King, son ex-mentor. La série se conclut ainsi avec cet opus. Aucune suite ou spin-off n’est pour l’instant au programme, Hermann et Yves H. embrayant dans la foulée sur le diptyque BRIGANTUS.