Bernard Prince
A la fin des années 60, avec Bernard Prince, la BD belge va se trouver un nouveau héros d’aventure : décontracté, intelligent et doté d’un humour légèrement caustique (merci, Greg). Très longtemps, les héros de la BD traditionnelle s’étaient contentés de ne pas être drôles.
Dans les premiers récits courts, Bernard Prince est un héros à la Valhardi, très sûr de lui. Agent d’Interpol, il mène des enquêtes tambour battant dans l’Hexagone. Mais quand Tibet (dessinateur de Ric Hochet) constate le succès grandissant de Bernard Prince, il s’oppose au nouvel inspecteur en arguant qu’il ne peut y avoir de place que pour un seul policier dans le Journal de Tintin. Celui-ci ne peut être, naturellement, que Ric Hochet.
Afin de donner un avenir à Bernard Prince, Greg le fait démissionner d’Interpol et hériter d’un bateau, le Cormoran.
C’est ainsi que Bernard Prince se transforme et évolue pour devenir un mercenaire indépendant qui loue ses services. Sans se départir d’un certain sens moral, bien entendu. Ses aventures sont dans la pure tradition des films américains d’aventures de la grande époque.
Malheureusement pour Hermann, Bernard Prince est un héros trop parfait, trop lisse. Juste un beau mec sans réelle épaisseur. C’est en effet un personnage dont on ne connaît rien du passé, de ses failles, de ses doutes.
Hermann dit dans une interview : « A l’égard de Bernard Prince, je suis assez partagé. J’aimais son côté clair, très sain, sûr de lui et en même temps je lui trouvais l’air d’une gravure de mode, je le sentais un peu… aseptisé ! »
Barney Jordan
C’est un vieux marin qui a bourlingué durant toute sa vie. Il rencontre Bernard Prince en Afrique, à Lombashi, et devient son fidèle compagnon.
En créant ce personnage haut en couleurs, Greg n’a fait qu’appliquer la règle selon laquelle une bonne BD repose avant tout sur un duo de personnages opposés mais complémentaires : le héros irréprochable et son acolyte en contrepoint. On pense dès lors aux célèbres duos de la BD : Astérix et Obélix ou Tintin et le Capitaine Haddock.
A ce propos, interrogé sur la ressemblance entre Barney et le Capitaine Haddock, Greg répondit : « Le capitaine Haddock n’a pas couru les femmes que je sache ! […] D’autres femmes doivent attendre Jordan, dans d’autres ports… Les personnages d’Hergé, eux, sont très prudes. » (Greg, Dialogues sans bulles, édit. Dargaud).
Hermann se contente de dire qu’ils correspondent tous les deux au stéréotype du vieux loup de mer. Car Barney est un amateur de whisky et de jolies filles mais, surtout, de jurons et de combats épiques, de préférence dans un bar où on peut casser du mobilier. C’est un capitaine au cœur d’or sous une rude écorce, portant casquette et fumant la pipe.
Hermann a un faible pour Barney. Il le trouve plus exubérant, plus rondouillard et plus rigolo. Nul doute que si Hermann avait poursuivi seul la série, il aurait accentué la drôlerie de Jordan, lui attribuant sans doute le premier rôle. La série Bernard Prince serait devenue plus âpre aussi. Ses personnages auraient évolué dans un univers plus en marge, moins hollywoodien. Un peu comme ce qu’il avait laissé entrevoir avec l’histoire courte Djinn a disparu ! (Bernard Prince d’hier et d’aujourd’hui), récit qu’il avait scénarisé seul.
Pour tracer le contour de son personnage, Hermann s’est librement inspiré d’un cowboy dessiné par Gir dans l’album de la série Blueberry, L’homme à l’étoile d’argent. On y trouve déjà la chevelure rousse en bataille et la moustache alerte de Jordan ; Hermann lui a rajouté la barbe de Jim McClure, son inclination pour la dive bouteille et un certain embonpoint (pour ne pas dire un embonpoint certain).
Pour conclure, ses origines sont incertaines. Malgré son goût immodéré pour le whisky, Jordan ne serait finalement pas un sujet écossais mais australien si on en croit l’histoire courte, Le soleil rouge (voir Autres galeries).
Djinn
Djinn, un petit Indien, rencontre Bernard Prince dans une de ses premières aventures, Opération Jeunes Mariés.
Selon Greg, il s’agit d’un hommage au personnage de Sheba qui apparaissait dans L’Épervier Bleu de Sirius. C’est aussi un faire-valoir qui permet aux jeunes lecteurs de s’identifier à la série.
Greg avait dit que, s’il reprenait un jour Bernard Prince, il ferait vieillir ses personnages de 15 ou 20 ans, ainsi Djinn aurait un rôle bien plus important.
De son côté, Hermann a toujours affirmé ne pas beaucoup apprécier Djinn, « ce gamin qu’il jamais vraiment senti. » Cependant, toujours dans Djinn a disparu !, Hermann lui offre un rôle, certes de peu d’importance, mais qui donne un aperçu de la tournure qu’aurait pu prendre ce personnage si Greg et Hermann avaient continué la série. Mais avec des si…
El Lobo
L’énorme carcasse de ce colosse latino-américain apparaît dès le second album de Bernard Prince puis disparaît aussi vite qu’il n’était apparu après La loi de l’ouragan lorsqu’il reste sur l’île pour faire fortune dans la pêche perlière.
Bagarreur, tonitruant et gaffeur par son impétuosité, il apportait une touche humoristique assez délectable aux premières aventures par le duo hénaurme qu’il formait avec Barney Jordan.
Pour une raison que nous ignorons, Greg jugea bon de le laisser sur son île et de ne plus faire appel à lui. Sans doute sa volonté de faire de Bernard Prince une série plus sérieuse à l’action ramassée et tendue a envoyé El Lobo aux oubliettes.
En 2010, toujours aussi fringant malgré quelques décennies d’inactivité, il fait son grand retour à l’avant-scène dans Menace sur le fleuve.
Le Général Satan
L’infâme Wang-Ho est le seul « méchant » récurrent de la série Bernard Prince (on pourrait y inclure Bronzen mais, si on excepte le dernier opus Menace sur le fleuve, il n’est présent que dans les deux premiers albums de la série). Il apparaît pour la première fois dans Le Général Satan, se venge de Bernard Prince dans La frontière de l’enfer et joue les entremetteurs dans La forteresse des brumes. A l’image du Spectre dans James Bond, il incarne le méchant tout-puissant, ricanant dans sa barbe devant le bon tour qu’il va jouer aux héros..
Néanmoins, sa dernière apparition dans La forteresse des brumes affine son caractère et le montre sous une lumière plus avenante, presque sympathique. En cela, il préfigure la nouvelle tendance dans la BD d’action : le méchant, aussi mauvais soit-il, ne peut plus être ce personnage monolithique et sans nuance qui s’oppose au héros par pur plaisir. Un minimum de psychologie est requise. La société a évolué, mûri ; Bernard Prince et les personnages qui parsèment la série aussi.
Boule de poils
Tintin a Milou, Spirou, Spip. L’équipage du Cormoran aura sa propre mascotte : Boule de poils. Ourson sauvé des flammes par son futur maître alors que ce dernier vient d’occire sa maman rendue folle par l’incendie qui ravage l’île, Boule de poils ne sévira cependant que durant trois épisodes, de La fournaise des damnés au Souffle de Moloch. Il est vrai que si un chien ou un écureuil peuvent se révéler être de sympathiques animaux de compagnie, un joli petit ourson devient rapidement une bête de 200 kg qui prend beaucoup de place sur un bateau ! On peut dès lors aisément imaginer la raison pour laquelle Greg a décidé de laisser de côté le sympathique mais encombrant plantigrade.
Si sa contribution aux aventures de Bernard Prince se résumé à trois albums, il n’en reste pas moins qu’il a pris part à l’action et a justifié ainsi sa présence dans la série.
Par exemple, dans Guerilla pour un fantôme, il se prend une flèche quebrachero sur le flanc mais n’en meurt pas : Djinn en conclut rapidement qu’elles ne sont pas empoisonnées. Dans La fournaise des damnés, il sauve à son tour Bernard Prince d’un faux-pas en se lançant dans les jambes de son agresseur. Et dans La flamme verte du Conquistador, sa petite taille lui permet de passer inaperçu et de ravitailler en eau nos héros et leurs compagnons pris au piège du “disque des aveugles”. Il gagne de haute lutte son droit à une retraite dans une réserve naturelle. Sans doute en Alaska ou au Canada si on en croit les paroles de Bernard Prince dans Le port des fous.
Le Cormoran
Comment ne pas évoquer le bateau qui sert de prétexte aux pérégrinations incessantes de notre fine équipe ?
Reçu par héritage, il va non seulement conduire Bernard Prince aux quatre coins de la Terre, lui permettre d’atteindre des zones inaccessibles par la terre ferme mais être l’objet même de la convoitise de gens plutôt mal intentionnés. Ainsi, à plusieurs reprises, des passagers vont tenter de le ravir afin d’en faire un usage que la loi réprouve. Ce sera le cas, entre autres, dans Le souffle de Moloch et dans Objectif Cormoran, deux albums où il occupe l’avant-scène.
C’est dans ce dernier épisode qu’il va trouver une fin tragique. Sa renaissance n’est qu’évoquée dans l’ultime aventure dessinée par Hermann, Le Port des fous, où Djinn est confié à un collège pour l’hiver, le temps que le Cormoran II sorte du chantier naval. Ce dernier est d’ailleurs visible dans l’album Orage sur le Cormoran dessiné par Dany, sous la forme d’un yacht ultramoderne et luxueux. En revanche, dans l’ultime épisode de la série, Menace sur le fleuve, les auteurs, Hermann et Yves H., décident de ressusciter le vieux Cormoran. Par commodité, car Hermann avait déjà toute la documentation à sa disposition.
Le modèle du Cormoran est le Kon Tiki II qui mouillait à l’époque dans le petit port flamand de Nieuport. Hermann en fit quelques croquis et prit de nombreux clichés qui lui permirent de reproduire le plus fidèlement possible le bateau quel que soit l’angle de vue.
Le Cormoran