Les Tours de Bois Maury
Hermann ne fait pas dans le didactique. Les Tours de Bois Maury est une saga qui se déroule vers le début du 12ème siècle, mais il n’est pas question ici de grands événements historiques ou des personnages réels. Non, Hermann voulait avant tout transmettre sa propre vision du Moyen Age : une époque rude, une violence omniprésente, une nature hostile. Comme d’habitude chez lui, il n’y a pas de place pour le romantisme à deux sous. On est loin de l’imagerie d’Épinal de l’époque médiévale avec son preux chevalier courant délivrer la jolie princesse captive au sommet d’une tour : ici, les personnages ont les pieds dans la boue et une espérance de vie très faible. Mais si Hermann évite de transformer son récit en livre d’Histoire, il ne s’embarque pas dans cette aventure avant d’avoir lu de nombreux ouvrages sur le Moyen Âge. Sa vision de ce dernier, s’il la veut personnelle, ne doit pas faire fi de la vérité historique. Donc, pas question de raconter tout et n’importe quoi : Les Tours de Bois Maury est une série de fiction mais qui repose sur une connaissance précise de l’époque qu’elle décrit.
Le contraste est présent entre les seigneurs qui se faisaient la guerre entre eux, chassaient sur les terres ennemies sans prêter attention aux manants et aux champs que ceux-ci cultivaient. Les paysans eux faisaient face aux épidémies, aux famines, aux pillages. Hermann nous présente un Moyen Age rugueux, lourd et primaire exprimant l’inconfort et l’insécurité. C’est évidemment l’occasion pour Hermann de nous gratifier d’une nouvelle galerie de trognes.
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Si l’atmosphère qu’il décrit tend à s’approcher de l’hyperréalisme âpre qu’il affectionne, son trait épouse les traits difformes, hideux et parfois grotesques qui sont ceux de l’homme médiéval dans l’inconscient collectif nourri des tableaux de Jérôme Bosch et de Pieter Bruegel. Difformes, hideux et grotesques car les maladies étaient monnaie courante et le climat rude : cela et mille autres facteurs meurtrissaient les corps. La survie, étaient l’objectif primordial pour ce menu fretin que l’Histoire a snobé et qui composait l’essentiel de la population d’Europe. Ils devaient travailler et assurer leur descendance tout en bravant les mille dangers qui les guettaient durant leurs courtes et misérables existences. Aussi, pour garder ce troupeau aussi docile que possible, l’Eglise, de son côté, le maintenait dans l’ornière de l’ignorance. Ses idées obscurantistes firent ainsi des ravages.
Dans cette série qui compte dix titres, chaque volume est nommé selon le prénom d’un des protagonistes que le chevalier Aymar de Bois-Maury croise tout au long de ses pérégrinations. Sans doute pour faire un pied de nez à ces titres aguicheurs et commerciaux qui fleurissent en BD, mais aussi pour souligner l’importance de ces protagonistes.
Aymar de Bois-Maury, personnage central de la série, est un chevalier noble mais sans terre. Il erre sur les terres de France et de Navarre à la poursuite d’un rêve qui ne s’accomplira jamais : reprendre le château de ses ancêtres. Son homme de main, Olivier, fidèle écuyer, est toujours à ses côtés.
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Les Tours de Bois-Maury peuvent se subdiviser en deux grands cycles. Le premier se déroule essentiellement dans le sud de la France, avec une courte incursion en Espagne dans Reinhardt, et tourne, parfois de manière assez distendue, autour de la personne de Germain. Ce cycle prend fin au tome 5. Après l’intermède fantastique de Sigurd, le second cycle raconte la participation de Bois-Maury à une croisade. Les deux cycles trouvent ensuite leur conclusion dans l’apothéose du dixième et ultime tome de la série.
Dans le premier opus, le personnage de Babette, une pauvrette dans l’aventure qui ouvre la série, n’est qu’à peine effleurée. A ce sujet, Hermann affirmait dans un entretien que souvent on rencontre des gens avec qui on discute, qu’on désirerait connaître davantage, mais dont on sait qu’on ne les verra plus. C’est de cette petite partie du voile que la vie parfois daigne nous révéler d’une personne qu’Hermann a voulu nous parler dans cet épisode. Afin de ne pas faire la part belle aux puissants et aux nantis, trop souvent mis sous les projecteurs de l’Histoire, Hermann va s’attacher, dans ce premier épisode, à dépeindre plusieurs personnages proches de la terre comme Germain. Le jeune maçon aime Babette mais surprend la jolie abusée par un chevalier. Le corps du chevalier est retrouvé plus tard transpercé d’une lance.
Dans un monde sans illusion mais reposant sur la puissance aveuglante de l’Eglise, Germain se voit exclu, mutilé par le jugement de Dieu et obligé de voler pour survivre. Il est accueilli par la Pie et Alda, saltimbanques tout autant que voleurs et se joint à eux. Aymar de Bois-Maury semble traverser ce récit comme un simple observateur de la société médiévale. Et chez Hermann, celle-ci, comme toutes les sociétés humaines, broie les âmes trop éprises de liberté.
Dans l’épisode suivant, Eloïse de Montgri est une magnifique jeune femme blonde comme les blés mais qui porte un lourd secret. Elle va croiser la route du chevalier de Bois-Maury dans le pays de Caux dévasté par les attaques sauvages d’une bande de pillards menée par un étrange berger.
Mais le personnage le plus marquant de cet épisode ne serait-il pas ce truculent vieillard tout racorni qui, la goutte au nez, tente de soustraire sa poule Aldegonde à la convoitise affamée de ses contemporains ?
Dans le troisième récit, on retrouve Germain qui donne son nom à l’album. Un peu comme Jeremiah, le chevalier de Bois-Maury, toujours flanqué de son écuyer Olivier, est en perpétuelle recherche d’argent et offre ses services contre rétribution en espèces. Cette fois, il escorte un marchand sur la route de Compostelle dont la femme est prise d’une sombre mélancolie depuis qu’elle a perdu son enfant. Le petit convoi s’arrête dans la région où la Pie et sa bande viennent de voler le trésor d’un monastère. Avec Favard à leurs trousses, un être fruste en proie à un horrible cauchemar récurrent.
Ce n’est que dans Reinhardt que le chevalier de Bois-Maury prend une part plus active à l’intrigue. Le témoin des premiers épisodes se mue en acteur de premier plan et devient le moteur de l’action. En compagnie cette fois de Reinhardt, un impétueux et ingrat chevalier allemand revenu de croisade après avoir été le prisonnier des Maures et que son frère veut tuer pour hériter seul du fief familial. Bois-Maury trouvera une aide providentielle dans la personne d’une étrange petite fille à laquelle il avait remis un quignon de pain. Car elle dit qu’une belle dame au lys veille sur elle.
Dans Alda, Bois-Maury arrive chez le sire Yvon de Portel. Mais c’est dans un piège qu’il tombe car le seigneur du château, manipulé par la jolie Guillaumette, abrite une bande de brigands qui terrorise la région. A la tête de cette bande, Germain qu’Alda retrouve par hasard. Ce dernier se souvient que jadis le chevalier de Bois-Maury l’aida à fuir les geôles où il était enfermé et lui permet à son tour de s’évader, trahissant ainsi la confiance de sa bande. Cet album clôt le premier cycle.
L’album Sigurd fait une incursion spectaculaire dans le fantastique. Le récit met également en lumière les premières fissures entre Bois-Maury et son fidèle écuyer, Olivier. Nos deux héros font leur entrée sur les terres du seigneur Landri, de descendance viking. Un cheval blanc leur apparaît portant joyau sur le front, puis disparaît dans les brumes sans laisser de traces. Au château, l’inquiétude ceint tous ses occupants qui parlent à demi-mots d’une ancienne malédiction. Bois-Maury permettra à celle-ci d’être levée, avant de se décider à partir pour la Terre Sainte.
William s’ouvre sur les préparatifs à la prochaine croisade. Pris de fièvres, Bois-Maury est contraint de laisser partir William mais c’est pour accueillir Hendrik, un chevalier hollandais aux manières grossières. Ils cheminent ensemble jusqu’en terres orthodoxes où un morceau de l’écu du chevalier anglais est retrouvé. Trouvant asile dans un village, Bois-Maury et les pèlerins sont pris au piège de la haine locale pour les Catholiques qui pillent et massacrent sur leur chemin. Et le chevalier de douter pour la première fois de l’existence de Dieu…
Dans Le Seldjouki, Bois-Maury et les pèlerins traversent l’Anatolie, guidés par le Byzantin Miltiadès. Sur leur route, ils capturent Sandjar. Mais ils ignorent que le Seldjoukide est porteur d’un message crucial. Réussissant à s’échapper, le messager perd dans l’aventure l’écu qui enferme le message. Miltiadès, au prix de sa vie, le rendra, mettant fin à la bataille entre Chrétiens et Seldjoukis.
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Jérusalem. Bois-Maury accepte de porter secours au seigneur de Mance assiégé par les troupes de Yazid. Mais c’est sans compter la fourberie du vil Fayrnal qui manipule deux jeunes éphèbes arabes, Khaled et Bashir, jouant à l’envi avec leurs sentiments et laissant le premier pour mort. Mais le jeune garçon, malgré ses blessures, survit assez longtemps pour parler et accuser son bourreau. Finalement, l’or promis à ce dernier reviendra à Bois-Maury qui, riche, peut enfin songer à reconquérir ses tours !
De retour au pays, Bois-Maury a épousé Guenièvre, fille d’Hendrik, qui est en passe de lui donner un enfant. Mais ses ennemis l’enlèvent et Olivier, pris de boisson et rejeté par son chevalier, va tenter de se racheter une conduite en œuvrant dans l’ombre à ramener Guenièvre à Bois-Maury. L’assaut final sur son château va être donné. C’est alors qu’une flèche vient frapper le chevalier errant…
Un retour inattendu
En 2021, alors que tout le monde pensait la série définitivement bouclée, Aymar de Bois-Maury fait son retour dans un nouvel épisode, L’homme à la hache, qui s’inscrit dans la chronologie de la série juste avant le tome 10, Olivier. L’intrigue montre un Aymar de Bois-Maury laissé pour mort par la petite bande d’Ulric, homme brutal et défiguré, alors qu’il rôdait près de ses terres désormais occupées par le seigneur Guibert. Obligé de se cacher, Aymar va devoir avancer ses pions avec prudence pour se sortir de ce mauvais pas car nombreux sont ceux qui le voudraient mort plutôt que vif.
Au départ, Les Tours des Bois Maury ne devaient être qu’une aventure unique dépeignant le Moyen âge. Mais se piquant au jeu et encouragé par son entourage ravi de la réussite de l’entreprise, Hermann persévéra, réalisant une série de dix albums, et continue encore aujourd’hui à l’alimenter par des one-shot narrant les tribulations, au travers du temps, des descendants de Bois-Maury (voir Bois-Maury). Au-delà de l’aventure proprement dite, Hermann joue le rôle d’un reporter et s’ingénie à jeter une lumière crue sur des séquences de la vie au Moyen Age tel qu’il l’imagine.
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