Genèse
Lorsque l’on regarde la bibliographie d’Hermann, on ne peut s’empêcher de se montrer surpris par la présence des trois volumes de Nic, ce petit garçon qui s’évade dans le monde imaginaire des rêves. Qu’est-ce qui a motivé Hermann à développer un univers onirique et fabuleux, lui qui nous avait habitué à des séries réalistes, violentes voire sanglantes ? Ou plutôt, QUI l’a motivé ?
Le scénariste, Morphée, n’est autre que le pseudonyme de Philippe Vandooren, le beau-frère d’Hermann, qui l’avait choisi car il évoquait le dieu grec Morphée, lequel endort les mortels et suscite les songes. Mais aussi à l’univers qu’avait créé Winsor McCay dans Little Nemo au début du 20ème siècle : il contait les aventures d’un enfant d’une dizaine d’années qui, dans son sommeil, vivait mille péripéties. Il rencontrait King Morpheus (tiens, tiens) et sa fille, The Princess. Il était ramené à la réalité par Flip, un personnage coiffé d’un chapeau haut de forme. Ce monde onirique était très poétique.
Dans un premier temps, Philippe Vandooren réalise ce projet pour un dessinateur, Malik, qui décline la proposition. C’est ainsi qu’il en parle à Hermann. Malgré sa réticence, il sait trouver les mots et Hermann réalise quelques planches dans l’idée que Philippe se voie obligé d’admettre que ce style d’aventure n’est pas destiné à un dessinateur comme lui. Contre toute attente, il se montre extrêmement enthousiaste ; Hermann a alors l’idée d’aller, par curiosité, les montrer à Franquin. Celui-ci estime que c’est peut-être le départ de quelque chose. C’est ainsi que l’aventure débute.
Bien sûr, pour Hermann, c’est un nouveau défi mais pas une contrainte car il a toujours aimé dessiner les animaux. Et puis, ouvrir des bouquins à la recherche de photos d’animaux et tenter de les reproduire, c’est un bon exercice pour parfaire son dessin et son sens de la synthèse graphique.
Trois albums et puis c’est tout
La série, comme son modèle « Little Nemo », propose des courts récits qui sont autant de rêves que fait Nic durant ses nuits, influencés par ce qu’il a vécu juste avant de se coucher. Nic est un petit garçon d’une bonne dizaine d’années tout ce qu’il y a de plus banal qui rêve autant sa vie qu’il ne la vit. Dans ses rêves, il retrouve essentiellement ses amis les animaux.
Dans le premier album, il se trouve aux prises avec l’explosif Capitaine Bang qui n’a qu’une idée en tête : mettre tous les amis de Nic dans un zoo. Mais notre petit héros ne l’entend pas de cette oreille et n’a de cesse de mettre des bâtons dans les roues de l’importun, ce qui le fait littéralement exploser de rage. La trame du récit sert avant tout à développer un monde onirique gentiment loufoque et poétique.
Le deuxième album raconte l’expédition des amis de Nic qui tentent de regagner leur île, prétexte à une joyeuse succession de situations pleines de fantaisie.
Le troisième, enfin, fait se rencontrer Nic et l’étrange M. Filarmo, vague sosie de Mahler qui incarne un chef sans orchestre, lequel trouvera dans les amis de Nic des musiciens providentiels. Une initiation tout en douceur à la musique classique, en somme. Et l’occasion pour Philippe Vandooren de faire un clin d’œil délectable à un ancien de ses pseudonymes en mettant dans la bouche de Filarmo cette citation : « Ma chambre est une porte ouverte sur un monde inconnu dont je suis chaque nuit l’explorateur émerveillé. » (Philippe André Novo)
Malheureusement, l’univers était trop décalé et la série ne trouva pas son public : prépubliée dans le journal Spirou, le public jeune n’accrocha pas à cet univers onirique, poétique et absurde avec des dessins sans doute trop réalistes et une histoire intelligente qui demandait une certaine réflexion. Les habitués d’Hermann, quant à eux, n’y retrouvèrent ni le trait aiguisé, ni l’ambiance de ses autres récits. Pourtant, cette BD étrange montrait une autre facette d’Hermann mais comme le tirage se révéla médiocre : entre 10.000 et 12.000 exemplaires, l’aventure s’acheva après le troisième volume. Ce sera Philippe Vandooren lui-même qui décida de jeter l’éponge.
Le duo n’avait su convaincre un grand public : trop « hermannien » pour les jeunes, pas assez pour les fans. Avec le recul, Hermann se dira qu’il aurait sans doute dû changer encore plus radicalement de style, se diriger davantage vers un trait plus humoristique, pour toucher un véritable public. Hermann en gardera néanmoins un bon souvenir car lorsque la ville de Bruxelles lui commandera une fresque murale, c’est Nic qui en sera le sujet (voir plus bas). Hermann a bel et bien conservé un côté rêveur en lui. Nul doute qu’il aurait pu développer une deuxième personnalité artistique, à l’instar de Gir/Mœbius.
En définitive, s’il accepta finalement de réaliser la série Nic sur l’insistance de Philippe, c’est sans doute aussi en réponse au fait que c’est lui qui fut le premier à lui mettre le pied à l’étrier de la BD en lui proposant d’illustrer sa première aventure scénarisée par ses soins, Histoire en …able (voir Autre galerie), pour le journal scout Plein-Feu (1965). Ce journal arriva dans les mains de Greg…
Les rêves de Nic, fresque murale à Bruxelles
En 1991, l’échevin de l’espace public et de l’environnement de la Ville de Bruxelles, Michel Van Roye, avec le concours du Centre Belge de la Bande Dessinée, a l’idée de lancer un parcours BD. Les héros populaires de la BD belge orneront désormais des pans de murs aveugles, égayant d’une touche joyeuse et colorée des coins de ville un brin tristounes. L’occasion de rappeler aux visiteurs étrangers mais aussi à ses habitants que Bruxelles est une des capitales du 9ème Art et qu’elle entend le rester. Huit ans plus tard, ce fut au tour d’Hermann de s’y coller et de proposer, pour son univers onirique, un dessin représentant Nic s’envolant en rêve au milieu de ses amis les animaux.
La fresque est visible au coin de la rue de Senne et de la rue des Fabriques, dans un quartier excentré de Bruxelles. Voir avec Streetview : https://goo.gl/Ff6qg5
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