Genèse
En 1967, Greg qui était alors rédacteur en chef de Tintin, propose à Hermann le scénario d’une série épique que signe un jeune scénariste, Laymilie (Jean-Luc Vernal), qui aura pour titre Jugurtha. Tout en dessinant en parallèle les aventures de Bernard Prince sur scénario de Greg, Hermann se lance avec application dans la réalisation de Jugurtha, mais sans enthousiasme débordant. Mais peut-il faire la fine bouche ? D’autant que cette entreprise vient à point nommé pour meubler un emploi du temps que Bernard Prince et les courts récits didactiques qui lui sont commandés ne peuvent seuls combler. Dame, il faut faire bouillir la marmite !
Les deux premiers volumes
Au début de la série, il n’était pas encore question de publier en album ces histoires courtes qui se présentaient davantage comme des chapitres que comme des épisodes indépendants les uns des autres. Il fallut d’ailleurs attendre plusieurs années (1975) avant de voir ces récits édités sous forme de deux albums brochés qui, lors des éditions suivantes (1977), prendront les titres suivants : Le lionceau des sables et Le casque celtibère.
L’histoire raconte la lutte pour le pouvoir menée par un jeune prince numide, Jugurtha, qu’un oncle tente d’écarter au profit de ses fils. Envoyé sur le front ibérique dans l’espoir qu’il n’en revienne pas vivant, il s’illustre au contraire par ses prouesses et y gagne ses premiers galons de chef militaire. Couvert de gloire grâce à ses faits d’arme en Ibérie, il rentre au pays où il doit affronter une adversité des plus hostiles de la part de ses cousins Hiempsal et Adherbal. Grâce à son habileté, il réussit à déjouer les intrigues et prend de l’assurance. Mais un coup du sort le met aux prises directes avec Hiempsal qui se jette sur son sabre et meurt. Jugurtha craint d’être jugé comme assassin et s’en va parlementer avec Adherbal mais ce dernier préfère l’affrontement dont il sort vaincu. Il fuit à Rome où il intrigue auprès du Sénat. Mais son entreprise s’avère être un échec. Un commissaire romain décide de partager le pays en deux provinces : l’une sera gouvernée par Jugurtha et l’autre par son cousin Adherbal.
Mais le conseiller d’Adherbal qui manipule ce dernier a de sombres desseins : il fait empoisonner le fleuve qui coule dans la province de Jugurtha. Cet acte de trahison contraint Jugurtha à prendre les armes. Alors qu’il était interdit aux deux princes de pénétrer le territoire de l’autre sous peine de s’attirer les foudres romaines, Jugurtha se lance dans de sanglantes représailles sur les terres de son cousin. Cette fois, Rome ne peut fermer les yeux…
Les deux premiers volumes sont très ancrés dans l’Histoire. Mais Vernal se rend vite compte qu’il ne pourra pas continuer dans cette voie et la série prend dès le troisième volume des chemins de traverse. Mais ce sera sans Hermann qui abandonne à un autre jeune et talentueux dessinateur le soin de reprendre le dessin, Franz. Il y aura en tout seize albums de Jugurtha, dont le dernier sera dessiné par Michel Suro.
Bien loin de la fiction
Le héros de la bande dessinée Jugurtha est directement inspiré du roi éponyme qui a vécu entre 160 et 104 av. JC et régné sur la Numidie (Algérie orientale et Tunisie actuelles) entre 111 et 105 av. JC. Extrêmement cruel et ambitieux, le jeune Jugurtha n’hésite pas à assassiner ses cousins et frères d’adoption (Jugurtha, fils de Mastanabal, est adopté par Micipsa à la mort de son père) pour obtenir le contrôle total sur son pays. Il s’empare également de la ville de Cirta (actuelle Constantine) où il fait massacrer les marchands romains. Il est alors appelé à Rome pour s’expliquer devant le sénat qui propose de régler le problème de la Numidie en donnant la couronne à un de ses cousins, Massiva. Jugurtha tue ce dernier et les hostilités reprennent. Faisant front contre les troupes du consul romain Cæcilius Metellus puis contre celle de son successeur Marius, il finit par être repoussé jusqu’en Mauritanie où son beau-père, Bocchus, le capture et le livre aux Romains en 105 av. JC. Il meurt en prison l’année suivante.
Une image édulcorée
Pour plaire au jeune public du journal Tintin, Vernal fait de l’impitoyable Jugurtha un personnage vaillant et héroïque qui est amené à tuer malgré lui. Comme dans cette scène où Hiempsal se jette malencontreusement sur son sabre et se tue sous ses yeux horrifiés. La vérité historique en prend un méchant coup mais la morale est sauve.
Hermann n’était pas dupe mais que pouvait-il y changer ? Il n’était qu’un débutant qui faisait ses premières armes dans un milieu qui lui était encore inconnu, celui de la BD. Et puis, à l’époque, il s’agissait de ne pas choquer les consciences. Pas question de montrer des antihéros tourmentés par de sombres desseins ou de mettre en avant de véritables crapules cyniques et amorales. C’était tout simplement impensable. C’est bien plus tard, dans « Le ciel est rouge sur Laramie » (Comanche), qu’Hermann allait suggérer à Greg de montrer Dust descendre de sang-froid l’aîné des Dobbs. Ce coup d’audace, on le sait, lui valut bien des critiques. Mais, en 1975, Hermann était déjà un auteur confirmé qui pouvait prendre ce type de risque. Huit ans plus tôt, il n’en était pas encore question. Et l’idée elle-même ne l’avait pas effleuré.
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Jean-Luc Vernal
Né Jean-Luc Van Kerkhove en 1944, Jean-Luc Vernal se lance assez tôt dans l’écriture de scénarios de bande dessinée pour le journal Tintin. Il crée ainsi Jugurtha pour Hermann sous le pseudonyme de Laymilie (pseudonyme qu’il abandonne vite), puis Ian Kalédine pour Ferry ainsi que Cranach de Morganloup pour Convard, toujours au Lombard. Passionné d’Histoire, il veut transmettre sa passion aux plus jeunes, affirmant qu’on ne peut bâtir l’avenir sans une connaissance parfaite du passé. Actif jusqu’au cœur des années ’90, il abandonne l’écriture de scénarios pour s’adonner tantôt à la poésie qu’il publie sur un blog), tantôt au journalisme en tant que rédacteur en chef du mensuel ucclois (Bruxelles), le Wolvendael. Peut-être le succès qui le fuyait depuis des années, à l’exception de l’époque faste de Jugurtha pour lequel il formait un couple efficace avec le regretté Franz, est-il à l’origine de ce changement de cap ?
Entre 1979 et 1988, il est également rédacteur en chef du journal Tintin, année de la disparition de l’hebdomadaire.
Il s’éteint le 15 janvier 2017 à l’âge de 72 ans.
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