Infos générales :
> BD no. 12
> Julius et Roméa
> Collection Repérages
> 44 pages
> Publié en 1986
Editeur :
> Editions Novedi/Dupuis
Scénariste :
> Hermann
Dessinateur :
> Hermann
Coloriste :
> Fraymond
Résumé :
Toujours à la recherche d'un job, Kurdy et Jeremiah se rendent dans une ville luxueuse de haute sécurité afin de travailler en tant qu'employés de maison.
Rapidement, ils constatent que l'ordre et la propreté y règnent en maître, jusqu'à l'absurde. Si les habitants donnent l'impression d'être heureux, les employés de maison sont numérotés et traités comme des esclaves. Quelques troubles viennent toutefois bousculer la tranquillité de ce paradis de riches : un mystérieux hors-la-loi renverse systématiquement les poubelles, et Roméa, la fille du président de cette société de rêve, est en conflit avec son père. Elle n'accepte pas la mort de sa mère s'est éprise d'un très crasseux joueur de cornemuse, Julius, qui vit en dehors de la ville et qui n'est autre que le frère de Stonebridge. Pour exprimer sa révolte autant que son amour pour Julius, elle refuse de se laver.
De son côté, Jeremiah devient l'amant de Mme Procton, la femme d'un cadre, ce qui lui vaudra d'être condamné à mort...
Infos générales :
> Tirage de tête N&B 25 x 37 cm
> Julius et Romea
> Editions Novedi
> 46 pages (avec offset couleur de la couverture)
> Publié en 1986
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
Rocky et l'absurdité
Dans les sous-sols de la ville, un homme, Rocky, observe au moyen de caméras, tout ce qui s'y passe. Il est ignoré de tous. Comme compagnon, il a Stonebridge qu'il a enfermé dans une cage. La présence féminine n'en est qu'un ersatz grotesque : une poupée gonflable dont les utilisations par trop répétées nécessitent l'application de rustines. Cette poupée lui sert de confidente. Rocky est en quelque sorte le narrateur de cette histoire par ses commentaires qu’il dispense de manière laconique.
L'absurde est distillé via les personnages de Rocky et Stonebridge.
En voici deux exemples :
- Stonebridge parle de son frère cadet, Julius, et affirme qu'ils n’ont que trois mois d’écart
- Rocky sort de sa cachette la nuit pour aller voler dans les grandes surfaces tout en pestant contre les prix qui augmentent
La révolte
La ville qui y est représentée est une métaphore de la dictature (on remarque la présence constante de policiers ou de miliciens, armés de matraques). Un contestataire masqué, renverse les poubelles. La police se démène afin de l'attraper, et ce vengeur masqué, s’avèrera n’être autre que le chef de police !... Les poubelles, tout un symbole. Par ces attentats anti-hygiénistes, il exprime son ras-le-bol de vivre dans une société trop contraignante. Cette ville, avec ses habitants et ses esclaves bien séparés, est aussi un reflet de notre société actuelle. En effet, on est soit "in", c'est à dire intégré socialement, soit "out", c'est-à-dire marginalisé.
Romea est en pleine crise d'adolescence. Elle rejette l'autorité de son père et la société trop policée et trop propre (en apparence seulement). Elle est traumatisée par le décès accidentel de sa mère, morte, électrocutée dans son bain. Elle ne se lave plus. Les mouches qui volent autour d'elle nous le rappellent. Elle trouve en Julius, qui lui joue la sérénade chaque soir, le compagnon idéal de révolte. Il est très sale, marginal et joue très mal de la cornemuse : il est donc un clou dans la chaussure des « honnêtes citoyens ».
Le mal-être des citadins
Ces mêmes citoyens une mollesse et une passivité, car ils sont blasés par le carcan de leur vie banale, rythmée par le métro, boulot, dodo, et lénifiante. En réalité, ils n'ont aucune liberté, prisonniers volontaires dans une cage dorée. Ils donnent du piment à leur vie en allant regarder la mise à mort des esclaves. Comme dans la Rome Antique. Ce n’est que lorsque le taureau aux cornes en lames de couteau est lâché dans l’arène que les citadins peuvent enfin exprimer leur jouissance.
En filigrane, on note le mépris d'Hermann envers les sous-chefs vaniteux qui abusent de leur position. Par vengeance, il humilie ces personnes par le truchement de la bande dessinée. Dans cette aventure-ci, M. Procton est précisément un sous-chef prétentieux qui gonfle son ego en prenant tout le monde de haut. Fait cocu par Jeremiah, il va vivre l’humiliation ultime : Kurdy lui coupera ses cheveux avant de lui uriner dessus. Souillé et meurtri, il repart en descendant les escaliers alors qu’une poubelle le dépasse en se vidant poussée par Romea, dans une sorte d’allégorie au Cuirassé Potemkine... Bref, tout ce qui était son univers se défait devant ses yeux.
Lorsque Hermann écrit le scénario de Julius & Romea, il a vu avec enthousiasme le film de Terry Gilliam, Brazil. Sous le charme de ce film qui est encore à ce jour l'un de ses préférés, il décide d'emmener Jeremiah et Kurdy dans un univers à la Brazil. Ce qu'il fait, à sa manière.