Infos générales :
> BD no. 2
> Du sable plein les dents
> Collection Repérages
> 46 pages
> Publié en 1979
Editeur :
> Editions Fleurus/Dupuis
Scénariste :
> Hermann
Dessinateur :
> Hermann
Résumé :
Jeremiah et Kurdy se sont égarés en plein désert, ils n'ont pratiquement plus d'eau. Dans les environs, un milicien prisonnier est traîné par ses ravisseurs. Il réussit à s'échapper et est secouru par Jeremiah, mû par son humanité, alors que Kurdy est davantage attiré par l'appât du gain. Corey, le milicien, explique qu'avec ses collègues, ils ont été victimes de pillards, et qu'ils ne sont que deux à avoir survécu. Comme ils n'ont plus d'eau, Kurdy va en chercher chez les pillards, mais il est emprisonné. Corey assomme Jeremiah pour lui fausser compagnie. Kurdy se retrouve enfermé avec Kenney, le second rescapé, à la merci de Sharita, la cheffe des pillards qui veut savoir où se trouve l'argent. Lesquels de ces protagonistes arriveront à leurs fins ? Ou seront-ils tous coiffés au poteau par un invité surprise ?
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
La candeur extrême de Jeremiah
Jeremiah vient juste d'être confronté à la rudesse du monde dans lequel il a tout fraîchement débarqué. Il s'aperçoit, non sans douleur, du décalage important qu'il y a entre le monde que sa tante lui a décrit et la réalité dans laquelle il évolue maintenant. Jeremiah est totalement désemparé.
C'est ainsi qu'il se rattache instinctivement à Kurdy. Ce dernier n'est pourtant pas un saint mais c'est la seule personne qui l'aide dans ce monde désorienté. Kurdy reste malgré tout un personnage trouble qui ne possède pas de réel sens moral. A l’image du décor sans repère qui est le leur, ils s’enfoncent dans le désert et, fatalement, se perdent. Kurdy bien que responsable relativise leur situation. Malhonnêtement, il n'hésite pas à se désaltérer avec le peu d'eau qu'il leur reste.
C'est d'ailleurs sans mauvaise conscience que Kurdy finit égoïstement la gourde durant la nuit. Lorsque Jeremiah constate le résultat du forfait, il accuse immédiatement Corey. Kurdy écoute sans intervenir. Il se dévoue à aller chercher de l'eau dans le camp habité par les pillards.
Après son départ, Corey, tente d'expliquer à Jeremiah qu'il se fait duper par Kurdy. Exaspéré, car Jeremiah refuse d'admettre que Kurdy est malhonnête, Corey n'hésite pas à simuler un malaise afin de l'assommer. C'est sans remords qu'il détrousse Jeremiah, ne lui laissant qu'une vulgaire couverture.
Lorsque Jeremiah découvre les corps des miliciens assassinés, il comprend que Corey lui a menti. Il réalise alors que Corey et Kenny ont abattu leurs collègues afin de s'emparer de l’argent qu'ils convoyaient.
Poussé par une envie de justice, Jeremiah s'obstine à rejoindre le poste de milice le plus proche. Il est heureux de rencontrer une troupe de miliciens et se livre à eux, sans imaginer qu'il se jette dans une situation inextricable. Désemparé et dépassé par la situation, il se fait condamner au peloton d'exécution pour complicité dans l'attaque du fourgon. Heureusement, il arrive à prouver in extremis son innocence.
Le désert brûlant
« Du sable plein les dents » : Le titre nous décrit très bien le cadre dans lequel évolue l'histoire.
Hermann nous représente la vision d’un désert hostile, brûlant, déroutant et mortel. Ses dessins nous font ressentir physiquement la chaleur caniculaire et la sécheresse. On a l'impression de respirer de la poussière en contemplant ces vues fantastiques. : le combat entre l'homme et le désert est par trop inégal.
Les pillards se servent de l'hostilité du désert afin de torturer lentement leurs prisonniers. L'eau, denrée rare, a bien plus de valeur que l'argent, car c'est elle qui permet toute vie. Jeremiah, après s'être fait dépouiller, se perd dans les méandres du désert. Il n'y a pas de repère. Il est tout heureux lorsqu'il voit des empreintes fraîches dans le sable, mais déchante rapidement lorsqu'il réalise que se sont ses propres empreintes. Perdu, Jeremiah s'écroule. Il a capitulé. Mais est finalement réveillé par un vautour trop curieux.
L'obstination et la fierté
Moralement, le commandant est un milicien qui obéit et exécute aveuglément les ordres de ses supérieurs, sans essayer de les comprendre. C'est un personnage têtu, aimant la hiérarchie et obnubilé par son sens du devoir. Il adopte un comportement égocentrique qui frise la démence. Il raconte froidement à Jeremiah que son fils avait été kidnappé afin qu'il collabore à une affaire douteuse. Et c'est sans gêne qu'il avoue avoir laissé son fils se faire exécuter plutôt que de collaborer avec les malfrats. Le sens du devoir et de son grade a passé avant les supplications de sa femme. Mais, à ses yeux, son fils est mort en héros.
Sharita est la dirigeante du clan des manouches pillards ; descendrait-elle de quelque hidalgo ? Elle commande avec une main de fer et rappelle l'importance de la fraternité entre les malfrats. C'est sans remord qu'elle ordonne que l'on fouette Kenney, un des deux miliciens. Sa bande de pillards a pris possession d'un hameau construit près d'un puits d'eau. Lorsque le vent tourne et que les miliciens prennent le dessus, elle préfère se suicider plutôt que de se rendre. Tout comme ses hommes, fiers et arrogants, choisiront de se jeter à corps perdus sur l'ennemi.
En somme, Hermann renvoie les brigands et le commandant de la milice dos à dos : quel que soit le côté de la loi qu'ils occupent, au-delà de la morale, ils appartiennent à la même race. De celle qui place l'honneur et le clan au-dessus de tout, et préfère la mort à la vie.
L'innocent du village
C'est un être simplet qui ne vit que pour son banjo : il ne réalise pas l'âpreté du monde qui l'entoure. Il est triste et se fait maltraiter par Sourkha, un des gitans pillards. A l'inverse des pillards, il est choqué par la scène de torture. On comprend qu'il préférerait ne pas être là. Son attitude dérange Sourkha qui, excédé, le jette dehors et brise avec haine et violence son banjo. Il vient de perdre là le seul objet qui avait de la valeur à ses yeux. Sa raison de vivre.
Kurdy, qui a vu la scène, réalise qu'il y a quelque chose à exploiter chez ce pauvre bougre. Afin de s'évader de sa cellule, il fait un marché avec lui, lui promettant de réparer le banjo, si, en contrepartie, celui-ci lui fournit une arme. Kurdy, bien qu'il profite cyniquement de la situation, apparaît comme un sauveur pour ce jeune simplet : enfin quelqu'un qui lui attache de l'attention. L'innocent tiendra sa promesse.
Lorsque, à la fin, l'innocent se fait abattre, Kurdy se promet d'un jour revenir sur sa tombe. Sans doute pour y déposer un banjo neuf. Naturellement, il l'oubliera et ne le fera jamais. Et puis, qu'est-ce que cela aurait changé... ?