Infos générales:
> One shot
> Lune de guerre
> Collection Aire Libre
> 52 pages
> Publié en 2000
Editeur:
> Editions Dupuis
Scénariste:
> Jean Van Hamme
Dessinateur:
> Hermann
Résumé :
L'irrémédiable bêtise humaine. Ils se marient. Ce devrait être le plus beau jour de leur vie. Mais voilà qu'intervient une innocente tomate farcie aux crevettes. Hélas ! la farce n'amusera personne car, soudain, dans un véritable maelström de cris, de coups de feu, de larmes et de sang, la lune de miel tourne en lune de guerre. La haine tue l'amour, la mort fauche aveuglément, et l'on se dit, une fois de plus, que si l'homme n'était pas accroché comme une ventouse à son irrémédiable bêtise, tout irait beaucoup mieux sur la planète.
Infos générales:
> Tirage de tête, format 25,5 x 33,5 cm
> Lune de guerre
> Editions Semic
> 70 pages (16 pages de croquis + 1 lithographie)
> Publié en 2000
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
« Lune de guerre » marque le retour de Hermann uniquement au dessin, sous les « ordres » d’un scénariste, à savoir Jean Van Hamme. Cela faisait plus d’une quinzaine d’années que Hermann assurait seul ses propres scénarios et voilà qu’il accepte de retravailler avec un scénariste.
Quand on regarde ce qu’en général produit Van Hamme, on peut affirmer que « Lune de guerre » est taillé sur mesure pour Hermann. Bien que Hermann n’ait nullement participé au scénario, on sent que cette histoire était spécialement conçue pour lui. Et pour cause : Van Hamme l l’avait gardée sous le pied pendant plusieurs années car, selon lui, seul Hermann était apte à la mettre en images. Son travail opiniâtre d’harcèlement amical a fini par payer et Hermann d’accepter de délaisser le temps d’un récit son costume d’auteur complet et d’enfiler son bleu de chauffe de dessinateur. Comme au bon vieux temps de Greg.
Van Hamme annonce dans l’avant-propos : « Lune de guerre » doit son origine à une anecdote, glanée au début des années 90 à un repas mondain. Au cours d'une noce, un différend oppose le père du marié au restaurateur, à qui l'on reproche de servir des tomates crevettes d'une fraîcheur approximative. Le père du marié n'arrivant pas à se mettre d'accord avec le propriétaire du restaurant, se propose d'emmener tout son petit monde déjeuner ailleurs. Voyant son chèque lui échapper, le restaurateur enferme alors la mariée dans les toilettes et refuse de la libérer tant qu'il ne reçoit pas son argent. Dans l'histoire originale, tout le monde revient à table et la journée s'achève sans autre incident.
Se basant sur cette histoire croustillante, Van Hamme se demande ce qui aurait pu se passer si chacun était resté sur ses positions. Cela aurait pu déboucher sur une ascension de violence menant tout droit au drame.
Le début de l’intrigue nous conduit dans un mariage habituel avec son lot de ragots, médisances et d’invités obligés. A l’évidence, tout le monde n’est pas ravi de se trouver là et attend patiemment la fin du supplice. Et voilà qu’arrive le problème : les fameuses « tomates crevettes » ! Le conflit aurait dû en rester là et les différentes parties s’arranger à l’amiable, mais c’était sans compter sur Van Hamme qui décida que le père de la mariée, Jean Maillard, et le cuisinier, Franz Berger, resteront sur leur position pour que la situation s’envenime au point de ne pouvoir éviter le clash final.
Van Hamme transforma l’anecdote initiale en décidant que ce seront la mariée et sa belle-mère qui seront séquestrées. Une belle-mère muette mais déstabilisante par son comportement de soumission totale à son mari, à savoir Jean Maillard. Ce qui permettra à Van Hamme d’aller au-delà du simple récit d’action et de développer les rapports ambigus et troubles qui existent entre ces deux femmes et entre les autres personnages de l’histoire.
Jean Maillard est décrit comme un riche propriétaire terrien, tout puissant dans son habit de seigneur féodal qui gouverne son petit monde au doigt et à l’œil. Sa vanité lui fait croire qu’il a tous les droits, droit de cuissage compris. Il dirige sa famille, commande ses subordonnés et personne n’ose s’opposer à lui ou le contredire. Il plaira toutefois à Madame Cazeville qui s’offrira à lui car elle verra en lui l’archétype du mâle dominant, soit l’antithèse de son propre mari, Fernand, qui est un couard fuyant devant les problèmes. Quant au restaurateur Berger, il aura à ses côtés son associé Roger, partisan d’extrême droite, qui, lorsque la violence éclatera, laissera s’exprimer ses tendances sadiques et perverses.
Berger réagira aussi de cette manière car il sait qu’il n’est pas de la région et que, pour cette raison, on ne l’a pas accepté : il défend son territoire.
« Lune de Guerre » comme métaphore de la guerre ? Elle démarre d’un fait anodin, mais comme chaque partie campe sur ses positions sans volonté de conciliation, toute négociation devient rapidement improbable. Les deux adversaires sont deux têtes de bois, fortes en gueule, orgueilleuses et vaniteuses qui refusent de discuter. Et par la volonté d’intimider l’autre camp (les armes, la séquestration, le papy et ses souvenirs des fridolins), on assiste à une escalade de la violence qui condamne dans l’œuf tout retour au calme. Les deux chefs obligent leurs subordonnés à s’engager dans ce combat absurde alors qu’il aurait pu se régler pacifiquement.
Bien sûr, comme dans tout conflit armé, il y a des innocents qui figurent les populations civiles : ici, il s’agit d’une famille anglaise en voyage touristique dans la région ; mais également les autres invités pris malgré eux dans la tourmente. Ils se retrouvent mêlés aux combats par la seule faute d’être au mauvais moment au mauvais endroit. Leurs réactions sont des plus différentes. Camille Jeantôt fera tout pour alerter les secours et mettre fin à ce combat absurde, alors que son mari, philosophe et lâche sans doute, s’abandonnera dans les joies du vin. Pellerin, quant à lui, était venu s’offrir du bon temps avec une escort girl. Alors que celle-ci s’occupe de lui contractuellement, il préférera s’assommer de calmants pour se tenir à l’écart de la débâcle. Il se comportera comme Jeantôt qui buvait son vin : pour eux, la guerre n’existe pas, le monde s’entre-déchire autour d’eux mais ils se refusent à le voir. Quant à Madame Maillard, miroir de la terrible majorité silencieuse, elle sera complice par son silence. En revanche, Monsieur Willoughby, major de son état, s’impliquera dans l’offensive en se révélant fort utile par ses connaissances stratégiques et militaires. Pourtant, il perdra tout contrôle de lui lorsqu’il découvrira que sa femme a été abattue par erreur. Oui, la guerre tue, surtout les innocents...
Comme la tension monte, les règles de politesses et les ronds de jambe sont mis au rancard et les secrets de familles refont surface comme des cadavres trop longtemps engloutis. Et quand ils éclatent au grand jour, la haine décuple. Ainsi, on apprend que la mariée, Dominique, enceinte de 5 mois, a été violée par son beau-père et qu’il est le géniteur présumé. Le plus sordide est que tout le monde semble être au courant, à l’exception de Jérôme, le marié.
Lorsque Louis, le fils de Maillard, est abattu, Odile prendra la décision de lancer l’offensive. Alors qu’elle était plutôt en retrait : la vision de son mari mort lui fait adopter un comportement décalé. L’aventure se terminera bien entendu dans le sang. On dénombrera quatre morts et cinq blessés, sans compter l’auberge consumée par les flammes.
Et Hermann dans tout ça ? Van Hamme l’avait contacté de longue date puis relancé à plusieurs reprises pour qu’ils réalisent ensemble un album. Tout d’abord, Hermann ne se montra pas intéressé par une nouvelle collaboration avec un scénariste. Ce n’est qu’après avoir réalisé Caatinga qu’il contacta Van Hamme pour lui annoncer être partant pour cette expérience. Comme du temps de Greg, il ne participa nullement au scénario. Ce fut un réel défi pour lui de dessiner une trentaine de personnages et, au terme de cette expérience, il en ressortira avec une certaine saturation.
« Lune de guerre » divertit et peut porter à la réflexion. C’est une explication, à petite échelle, du rôle que chacun décide (ou non) de jouer lorsqu’un conflit éclate. L’ampleur de ce massacre semble improbable mais il symbolise l’émergence du possible lorsque la déraison pointe le bout du nez : il suffit alors d’un incident ou d’une maladresse (la grenade du papy devait être désamorcée) pour que le règlement de compte devienne inéluctable. Au fond, lorsque l’on se penche sur la véritable cause de ce conflit, on est frappé par son caractère stupide et absurde : des tomates crevettes qui manquent de fraîcheur. Est-ce que cela justifie de semer la mort ? Pourtant tout au long de l’histoire (qu’on pourrait écrire avec un ‘h’ majuscule), les hommes se comportent comme des animaux enragés ou des pleutres sans dignité. C’est alors que d’autres causes peuvent venir se greffer et, par un effet boule de neige, entraîner avec elles tous les protagonistes vers l’enfer. Que ce soit par désir de se mesurer avec l’autre pour étaler sa virilité, pour obtenir le corps d’une femme ou par envie de traduire ses idées racistes en actes, la montée de cette violence démontre que l’homme demeure un loup pour l’homme.