Infos générales :
> One shot
> Missié Vandisandi
> Collection Aire Libre
> 52 pages
> Publié en 1991
Editeur :
> Editions Dupuis
Scénariste :
> Hermann
Dessinateur :
> Hermann
Résumé :
Un sentiment de peur. Karl Vandesande, ingénieur agronome à la retraite, vit tranquillement à Bruxelles. Passionné d'art africain, il a même commis un livre sur le sujet. Et voilà qu'un mécène lui propose de retourner au Congo, maintenant état indépendant, pour pouvoir écrire la suite. Karl Vandesande n'hésite pas : retourner là-bas, n'est-ce pas retrouver l'Afrique, ses amis, sa jeunesse ?
Pourtant, depuis quinze ans, bien des choses ont changé. Les trafics louches, la corruption, la dictature battent maintenant leur plein. Et "Missié Vandisandi" découvre bientôt qu'il est mêlé à des histoires qui le dépassent. Et, dès lors, un sentiment diffus de peur l'étreint... (Dupuis)
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
Le déclic de l'album
En 1988, au retour d'un festival de BD organisé sur l'île de la Réunion, l'avion fait escale aux Seychelles. Hermann tombe sous le charme. Il y retournera peu de temps après. Enchanté par ces îles paradisiaques, il veut se servir de ce cadre merveilleux pour y faire se dérouler une de ses histoires. Il apprend qu'un ancien mercenaire, d'origine belge, avait ouvert un restaurant au bord de la mer, le déclic se produit. Le fait que des ex-mercenaires européens y trouvent refuge et coulent désormais une vie paisible le motive à parler de ces gens au passé douteux. Il veut également mettre les choses au clair et prouver que l'on n'est pas complètement dupe de la vie sociale, de toutes les dissimulations, de toutes les vilenies, de toutes les lâchetés…
Pour la première fois de sa carrière, Hermann va lâcher ses séries pour se lancer dans la réalisation d'un one-shot. Mais certainement pas pour la dernière fois !...
Missié Vandisandi
Karl Vandesande a le profil de l'anti-héros. Il est âgé et vit assez simplement, essayant de profiter d'une vie somme toute banale. Dans un premier temps, peu enthousiasmé par la proposition de l’énigmatique M. Schwartz, il pense ne pas y accéder. Mais une ellipse typiquement « hermannienne » l’envoie dans l’avion : il a changé d’avis.
Karl est nonchalant, détaché du monde qui l'entoure : il regarde évasivement par la fenêtre la pluie tomber, contemple des photos et répond à côté à une question banale ; il regarde vaguement, depuis son balcon, le paysage dans la nuit ; il se déshabille en laissant la télé comme bruit de fond, ne prenant même pas la peine d'écouter les nouvelles. Cette sensation de retrait est peut-être accentuée par le fait qu’il porte des lunettes, ce qui ne laisse pas voir son regard. On a donc l'impression qu'il est toujours éloigné du récit. Il paraît être refermé sur lui-même et contemple le monde extérieur sans chercher forcément à lui donner un sens. Il peut nous faire penser au personnage de Meursault, dans le roman L'étranger de Camus.
Karl Vandesande retourne naïvement dans cette Afrique où il a vécu 23 ans. Il s'attend à retrouver le continent tel qu'il l'a côtoyé durant ces nombreuses années. Il semble être surpris par un pays qui a beaucoup changé. En effet, cela fait 15 ans qu'il est retourné en Belgique. Il recherche en vain les jalons du passé afin de retrouver des souvenirs d'une époque révolue. Il ne reconnaît plus trop le Congo/Zaïre gravé dans sa mémoire – car on se doute bien que c'est là que se déroule l'histoire - sous le règne du Maréchal Mobutu. Malgré sa (fausse ?) candeur, il se doute bien que des pratiques malhonnêtes se pratiquent dans l’ombre, à l’écart des regards. Il se rend compte petit à petit que l’écriture du livre n’est qu’un prétexte et qu’on l’a envoyé là-bas dans le but de dénoncer certaines filières de pillage du patrimoine artistique. Mais il n’a pas de rôle actif. Comme monsieur Tout-le-monde, il subit plus qu’il n’agit. Quelque part, il est une victime de la situation mais ne se rebelle pas : ce n’est pas un héros, juste un type comme les autres. Comme chacun d’entre nous. Il continue d’ailleurs de rencontrer d'anciennes connaissances et tente de ranimer de vieux souvenirs.
La prise de conscience
Jusque-là Karl n'avait pas vraiment réalisé ce qui se passait autour de lui ; mais soudain un personnage va dénoncer malgré lui la corruption qui règne au pays : le gardien du musée. Bien qu'il ne connaisse pas grand-chose au trafic d’œuvres d’art, il va lâcher la parole de trop qui va conduire Missié Vandisandi à une découverte et va surtout laisser entrer Missié Vandisandi dans le musée. Ce dernier constate, à son grand étonnement, que toutes les pièces d'art africain ont disparu. Certains colons, des mécènes, avaient restitué des œuvres d'art Africain lors de l'indépendance du Congo. En réalité, elles ne sont pas restées longtemps dans les musées et ont été revendues très cher à des collectionneurs à travers le monde entier, monnayées par les tenants du pouvoir africain. Qui plus est, ce trafic recouvre d'autres trafics parallèles. Pour le punir de ses révélations maladroites, le gardien de musée sera éliminé.
Missié Vandisandi détient désormais une information scandaleuse qu'il pourrait faire éclater au grand jour en avertissant la presse, mais il ne sait comment s'y prendre et reste passif. Il a l'air de ne pas savoir que faire. Afin de le prévenir de ne pas tenter d’enquêter plus avant, il se fait passer à tabac.
Une victime de manipulations
Jacques Schwarz choisit Karl pour être l’élément déclencheur d'un potentiel scandale, car Karl voue de l'intérêt pour l'art Africain et a jadis écrit un livre à ce sujet. Il possède le profil parfait, vu que Jacques et ses collègues du I.C.I. (International Corruption Investigation), veulent porter le trafic d'œuvres d'art Africain au grand jour. Avec la promesse d’un voyage tout frais payé, il convainc de retourner au Congo. Indubitablement, Karl ne tarde pas à constater que les œuvres d'arts du musée sont toutes revendues. Mais à la grande déception de Jacques et de Blanche (une jeune fille africaine du I.C.I), il reste étranger à sa découverte et demeure passif. Blanche n'a pas besoin de beaucoup de fausses explications pour le convaincre qu'elle enquête autour d'un trafic de petits singes destinés à la vivisection afin de le motiver à poursuivre son enquête.
Karl est sous surveillance permanente : ses observateurs effectuent toujours des rapports par téléphone du moindre de ses faits et gestes. Quant à lui, il se déplace comme une bille de flipper, sans très bien savoir ce qui se trame dans son dos. Le consul d'un pays européen – la Belgique, certainement - est au courant de tous ces trafics mais il doit accepter de demeurer muet. Il est envoyé par le gouvernement qu'il représente et ne peut donc dépasser le cadre de sa mission. Au grand étonnement de Karl, il va l'attendre à l'aéroport et se propose gentiment de l'héberger. En fait, il tient à l'isoler et à l'empêcher de découvrir quoi que ce soit, sachant certainement que Karl a été envoyé, à son insu, par l’I.C.I.. Il l'accapare, le tient éloigné de la ville et s'engage à lui montrer les plus beaux paysages du pays. Mais la seule demie journée où Karl est libre de ses mouvements, il découvre l’état du musée et met, en quelque sorte, les pieds dans le plat. Lorsque le consul réalise que son « ami » commence à se montrer trop curieux, il l'avertit « amicalement » de rester à l’écart de tout cela. Voyant que Karl découvre peu à peu l’existence d'un trafic, il lui dit simplement qu'il ne peut plus l'héberger par crainte de représailles.
L'hydre et l'impuissance de Vandesande
Alors qu'il se prépare à rentrer en Belgique, il reçoit un téléphone inquiétant l'invitant à oublier au plus vite tout ce qu'il a appris durant son séjour. Mais, étrangement, ce n'est que lorsqu'il revient à Bruxelles qu'il semble se rendre compte du danger qu'il a côtoyé tout au long de son voyage. C'est à ce moment-là qu'il commence à avoir peur, alors qu'en réalité, il n'en a plus aucune raison puisqu'il ne représente plus aucun danger. Craignant un ennemi fantôme, il est désormais constamment sur la défensive.
Bien que Vandesande possède un morceau de vérité sur un trafic, il ne peut rien faire. C'est un retraité, peu sportif encore moins un combattant dans les films. Ce n'est que dans les films que l'on voit des héros s'emparer d'une arme et se faire justice. Ici, le combat s’apparente à s'attaquer à une hydre dont la tête repousserait chaque fois qu’elle serait tranchée. Il lui faudrait d’abord savoir à qui il devrait attaquer : ici, l'ennemi n'a pas de nom. Il a bien essayé de rétablir les contacts avec Schwartz et tous ceux qui de près ou de loin l’ont manipulé mais ils ont tous disparu. On se dit que, même s'il avait réussi à mettre à jour une filière, il ne serait pas allé bien loin, tant les ramifications du réseau auquel il se serait attaqué sont complexes et invisibles. Pire qu'un nœud de vipères. Il n'aurait d’ailleurs pas tardé à se faire éliminer. Paradoxalement, la passivité de Karl le sauve. S'il avait été plus loin dans ses investigations ou s'il avait osé ébruiter le fruit de son enquête, il se serait condamné.
Les anti-héros et les ellipses
La couverture de l'album illustre parfaitement le contexte de l’album : avec sa valise, Karl semble étranger au paysage qui l'entoure. Le ton est donné : Karl Vandesande n’est pas Bruce Willis.
Dora était la femme d'Antoine. Seulement elle a beaucoup vieilli ; Antoine s'est montré impatient avec elle, n'hésitant pas à la laisser tomber pour épouser une ravissante demoiselle, une blonde plantureuse de 33 ans, mais qui demeure superficielle. Dora s'est réfugiée dans l'alcool, n'acceptant pas d'avoir été délaissée. Ironiquement, elle se saoule au Johnnie Walker, étiquette noire, un peu entamée comme elle. Dépressive, mal dans sa peau, elle se contente d'oublier son sort dans l'alcool.
Blanche, une militante farouche du I.C.I., n'hésite pas à s'impliquer afin de tendre une perche à Karl. Elle se fera arrêter, puis torturer par son gouvernement.
Schwarz - qui signifie noir en Allemand - veut mettre un trafic en plein jour. Il manipule Karl. Lorsque la machine s'emballe, il annule tout et s'évanouit dans la nature.
Gus Lismond est un ex-mercenaire qui a profité du marché noir. Il vit reclus et en toute impunité aux Seychelles. Il explique à Karl que cela ne sert à rien d'écrire un livre sur l'art africain car tout ce qu’il cherche a été dispersé. Il le met en garde et l'invite à arrêter son enquête, car moins il s'en mêlera et mieux il se portera.
La politique corrompue
A la lumière de l’actualité et en lisant entre les lignes, on comprend qu'il y a un tas de choses que nous ne saurons jamais car les politiciens veulent qu'on les ignore. C'est un peu le retour à la « sainte ignorance ». On devine que l'intervention d'une force étrangère, comme la France durant la guerre du Rwanda, recouvre certaines choses qui ont été dites et d'autres dont on ne connaît pas très bien les origines.
Bien qu'il existe un motif humanitaire, on imagine d'autres raisons, qu’elles soient économiques et/ou politiques, qui ne sont jamais révélées. Sans tomber dans le conspirationnisme, il faut toujours regarder au-delà que ce que disent les médias d’information. On sait malheureusement que, même si les journalistes connaissent la vérité, ils n'ont pas toujours le droit de la dire. Par crainte des conséquences, ils ne nomment personne et énoncent des informations finalement très vagues. Les hommes d'Etat ne veulent pas révéler au grand public les raisons profondes d’un conflit. Grâce au politiquement corrects, trop de gens se déguisent derrière un tas de belles paroles, mais en réalité profitent également du système qu'ils dénoncent. C'est un peu ce que Hermann a voulu exprimer à travers Missié Vandisandi.
Enfin, Hermann précise que cette histoire est la première dans laquelle il dénonce pour de bon les pratiques des gouvernements. C'est à cette époque qu'il découvre le jeu de dupes dans lequel nous vivons ; sa vision du monde s'est nettement obscurcie dans ces années-là. Le coup de grâce à sa vision jusque-là un peu naïve du monde sera porté lors de la guerre en Bosnie, comme le démontre son album Sarajevo Tango. Néanmoins, Missié Vandisandi est définitivement un premier jalon vers une plus grande maturité politique.