Infos générales :
> One shot
> On a tué Wild Bill
> Collection Aire Libre
> 62 pages (avec préface de huit pages)
> Publié en 1999
Editeur :
> Editions Dupuis
Scénariste :
> Hermann
Dessinateur :
> Hermann
Résumé :
Cœurs sauvages mis à nu. 1876, du côté de Deadwood, en pleine ruée vers l'or. Melvin l'orphelin a des rêves, qu'il partage avec Celinda. Ses parents à elle sont venus dans cette contrée reculée, comme tant d'autres, pour tenter leur chance et trouver, peut-être, le filon qui leur apportera la richesse. Lui vit avec ses oncles, deux ivrognes installés un peu plus loin, dans un campement de fortune, pour prospecter de leur côté. Mais les rêves, même les plus beaux, ne résistent pas quand parle la poudre et qu'explose la violence. Témoin du meurtre de Celinda et sa famille, Melvin fuit Deadwood. De rencontres en errance, il croise sur son chemin toutes sortes de gens. Confronté à la violence permanente de ce Far West sans foi ni loi, sinon celle du plus fort, il lui faut survivre coûte que coûte. Car s'il a tout perdu, il lui reste, chevillée au corps, une soif de vengeance qui ne le quittera plus. (Dupuis)
Lire la préface : Préface Wild Bill
Infos générales :
> Tirage de tête
> On a tué Wild Bill
> Editions Ligne d'Ombre
> 58 pages non reliées (avec 6 pages de croquis + 1 ex-libris)
> Publié en 1999
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
Le western et Hermann, c’est une vieille histoire d’amour qui remonte au temps des premiers Comanche.
Dans cette série, comme on le sait, il n’assurait que les dessins, laissant à Greg le soin de conduire la narration avec sa maestria habituelle. On était au début des années 70 et Hermann avait été marqué par les films de Sergio Leone alors que la BD western de l’époque était plutôt axée sur la production hollywoodienne héritée des classiques hantés par la grande carcasse de John Wayne. Parmi les plus beaux fleurons du 9ème Art européen, on avait Jerry Spring ou les premiers Blueberry. Tout cela ne s’écartait en effet pas des grands thèmes hollywoodiens. Sergio Leone apportait alors un souffle, un mouvement nouveau qui s’imposa par la bande dans Comanche mais aussi dans Blueberry. Mais Hermann ne participait nullement aux scénarios et c’est une des raisons qui le motiva bien des années plus tard à réaliser à nouveau un western. Son western.
« On a tué Wild Bill » prête à confusion. Ce titre suggère que le récit met en lumière la vie de Wild Bill. Pour autant, il n’en est rien.
Mais qui était Wild Bill ?
James Butler Hickok était une légende du Far West, un marshal redouté dans tout l’Ouest sauvage. Ce fut le règlement de compte armé avec le gang McCanles, dont il tua trois membres, qui fit de James Butler Hickok une des plus grandes légendes de son temps : d’une habilité hors pair, on le disait capable de tirer sur le cul d’une bouteille sans en casser le col. Utilisé souvent pour « nettoyer » les territoires du Far West de ses bandes armées, il se fit de nombreux ennemis qu’il envoya pour la plupart Ad Patres. Ami de Buffalo Bill avec lequel il se produisit en spectacle, il fut abattu, le 2 août 1876 à quatre heures de l'après-midi, à Deadwood, dans le Carl Mann's saloon d’une balle dans la nuque tirée par un clochard. Sa dépouille repose encore aujourd’hui aux côtés de celle de Calamity Jane, sa compagne des dernières années.
Mais un autre massacre, fictif celui-là, se déroule aussi ce même jour à Deadwood. Comme on le comprend en lisant l’album, il s’agit d’une sordide affaire d’or. La famille de la petite Celinda prétend avoir découvert un filon dans la montagne, ce qui attire les hors-la-loi de tous poil. Malheureusement, ce jour-là, la ville de Deadwood n’a d’yeux ni d’oreilles que pour la fin subite de Wild Bill et personne ne prête attention au second massacre. Après tout, les tueries et règlements de compte sont encore monnaie courante dans ce monde à peine effleuré par la civilisation. Seul survivant du massacre, Melvin, désemparé, est condamné à errer seul dans ce monde inconnu et hostile. Il vient de perdre celle qu’il aime sans pouvoir intervenir. Mais il prend conscience qu’avant de penser à se venger des tueurs, il lui faut avant tout sauver sa peau et survivre au milieu d’individus qui ont autre chose à faire que de s’émouvoir du sort d’un gamin démuni.
Melvin Hubbart n’a pas le profil du héros auquel nous étions habitués dans les westerns traditionnels. C’est un adolescent naïf, recueilli par ses oncles chercheurs d’or et indécrottablement alcooliques. Abandonné à son propre sort à une époque en pleine mutation où la civilisation a encore du mal à s’imposer, Melvin est donc le témoin impuissant du massacre. De désespoir, Melvin s’enfuit et, débarqué dans la ville de Deadwood, s’adonne à sa première beuverie ; il est alors recueilli par Charlie et Louise Woodruff, un jeune couple aux comportement étrange. Détroussé par un voleur, il découvre que la jolie pierre que lui avait remise Celinda avant de mourir lui est dérobée.
Le hasard lui fait alors découvrir que Louise se prostitue et, effrayé par cette révélation bouleversante, il prend à nouveau la fuite, laissant la ville et sa dépravation derrière lui. Seule sanctuaire possible dans ce chaos sans espoir, la nature. La providence fait alors que sa route croise celle de son voleur : ce n’est pas pour l’argent mais pour la pierre qu’il le tue froidement. Il fuit, cette fois définitivement, Deadwood.
Déboussolé et toujours aussi démuni dans ce monde de violence exacerbée, il se fait stupidement prendre dans un piège à loup, Hermann soulignant avec ironie la pitoyable vulnérabilité du garçon. Il doit attendre la venue d’un trappeur, un homme bourru et taciturne, pour pouvoir être délivré. Alors que Melvin a grandi et est devenu trappeur à son tour, son partenaire et mentor le trompe et l’abandonne en partant avec le fruit de leur labeur. Melvin, contraint, doit redescendre parmi les humains pour trouver un travail. Il fait la connaissance de la fille du propriétaire...
Hermann exprime une idée qui lui tenait à cœur : le western est un monde sans illusion, âpre et sans rapport avec celui de Hollywood et des grimaces de John Wayne. Lorsque Melvin tue, malgré son statut de héros de l’histoire, il le fait par derrière, sans panache. A l’image de ce qu’un Peckinpah ou un Altman aurait imaginé.
Le western est un monde en transition, remplis d’aberrations et de dérives, qui lutte contre la vague inéluctable du progrès qui peu à peu le submerge. Le chaos fait place à l’ordre de la civilisation et c’est précisément les spasmes nés de la collision entre ces deux mondes opposés qui intéressent Hermann. Malgré l’éloignement des grandes villes de l’Est, les gens à s’adonnent à certains plaisirs ou autres perversions comme l’alcool, la prostitution. Tous ces maux importés par la civilisation y sont omniprésents. L’oncle de Melvin se saoule, Ricky, la petite frappe, est trouvée ivre mort. Melvin se saoule également pour oublier le massacre. L’alcool est là pour aider à surmonter la misère, à oublier une condition de vie précaire et sans espoir, et non pas come symbole de virilité au contraire des clichés hollywoodiens. La misère par le travail est une nouvelle donne imposée par la civilisation : elle oblige à tuer pour survivre, pour gagner sa petite place au soleil. On est bien loin des chevauchées épiques dans les grands espaces de l’Ouest que nous vend Hollywood. Le monde qui se dessine sous le pinceau de Hermann est celui du 20ème siècle où l’aventure en tant que telle a succombé aux lois du travail et du marché. Les hommes sont les mêmes mais les mœurs changent sous la contrainte. Seul le trappeur représente encore une époque qui appartient de plus en plus au passé. Brave type ou salaud, Hermann ne juge pas : l’homme abandonne à son sort Melvin pour partir seul avec l’argent de la vente des peaux. Sans doute le trappeur incarne-t-il précisément cette mutation, poussé à quitter une vie qu’il sait désormais appartenir à des temps révolus, pour s’offrir une petite maison et y terminer ses vieux jours dans un monde qu’il ne reconnaît déjà plus.
Selon Hermann, le personnage de Louise est celui qui lui tient le plus à cœur. Bien qu’elle donne l’image d’une dame cultivée et sensible, elle ne sait que trop bien comment tourne le monde. C’est ainsi qu’on découvre qu’elle a une dette envers Charlie qui semble être son protecteur, son maquereau, un homme bien placé et influent. En effet, il était censé rencontrer Wild Bill Hickok pour une affaire peu recommandable. D’ailleurs, lorsqu’il est arrêté, elle perd son honneur et sa protection et devient Rosita, une prostituée de bas étage. Pour les femmes encore plus que pour les hommes, les mondes en mutation sont cruels et l’Ouest américain n’échappe pas à la règle.
Hermann était fatigué par les héros monolithiques présentés par la BD et le cinéma classiques. Malgré tout le talent de Greg, Comanche avait fini par l’ennuyer. Pendant des années après l’abandon de la série, il cultiva le désir de créer son propre western, un western réaliste, en concordance avec la vérité historique et non plus un cliché véhiculé par le cinéma. Avec « On a tué Wild Bill », Hermann a remis les pendules à l’heure, dilué son malaise et produit enfin SON western. Voici donc le western... LE VRAI !