Infos générales :
> One shot
> Zhong Guo
> Collection Aire Libre
> 52 pages
> Publié en 2003
Editeur :
> Editions Dupuis
Scénariste :
> Yves H.
Dessinateur :
> Hermann
Résumé :
Un thriller aux multiples ramifications. Pékin, Chine populaire, dans un avenir plus ou moins proche. La nouvelle crée la sensation en Chine : sur fond de signature d'accords commerciaux entre les deux pays, un citoyen américain d'origine chinoise, Wang Li Fang, vient d'échapper aux autorités communistes qui le soupçonnent d'espionnage au profit des USA et ce grâce à l'intervention d'une équipe de la CIA.
Mais tout ne se passe pas comme prévu et l'opération manque de se terminer en fiasco. Malgré tout, Wang a réussi à rejoindre l'ambassade américaine. Autour de cette affaire, des intérêts contraires se font jour. D'autant qu'approche à grands pas la cruciale journée du 4 juillet : des rumeurs font état d'une opération menée par les services secrets chinois visant à profiter du bal à l'ambassade pour récupérer Wang. L'ambassade, elle, compte beaucoup sur le renfort que constitue l'agent Ditto, tout frais débarqué de l'avion.
Va-t-il pouvoir empêcher les Chinois de récupérer Wang Li Fang ? Et s'opposer aux plans orchestrés dans l'ombre par un personnage obscur, le "Chinois", un homme d'affaires américain au bras très, très long ? (Dupuis)
Infos générales :
> Tirage de tête
> Zhong Guo
> Editions Erko
> 62 pages (avec 10 pages de croquis)
> Publié en 2003
Analyse :
Par Patrick Dubuis.
Zhong Guo est une histoire qui se déroule dans un futur plus ou moins proche dans une Chine toujours communiste marquée par la mainmise du Parti Communiste. La majeure partie de l’intrigue se déroule dans l’enceinte de l’ambassade des USA située dans la capitale chinoise et met en scène un agent des services de sécurité de cette même ambassade, l’agent Ditto.
L’agent Ditto a le profil parfait du héros américain parfait sous tout rapport. Il a été entraîné comme une machine et on lui a enseigné un évangile de bonnes manières pour lui faire croire qu’il doit sauver sa nation. C’est un exécutant ne discutant pas les ordres qui lui sont donnés par ses supérieurs. Aussi, on constate qu’il représente le citoyen américain idéal. En effet, il a une famille aimante, une jolie maison dans une banlieue d’une ville sans nom. Il aime le base-ball, regarde certainement le super bowl et doit adorer les barbecues et boire des bières avec ses amis. Seulement, au cours de l’histoire, on comprend que cet archétype du héros américain, qui se transforme en super héros lorsqu’on lui donne une mission - c’est bien démontré dans sa tenue vestimentaire lors sa première apparition, on jurerait un redresseur de torts possédant des super pouvoirs - est une création du gouvernement. Il est fabriqué, presque à la chaîne, et utilisé pour chaque mission périlleuse que lui dictent les services de sécurité de l’ambassade américaine et, après laquelle, il est invariablement éliminé. L’agent Ditto est cloné à chaque nouvelle mission. Pour l’anecdote, Ditto signifie en anglais : idem. La couverture nous montre d’ailleurs une quantité d’agents Ditto !
Il y a trois agents Ditto qui apparaissent dans l'histoire :
- le premier (Ditto n°1), créé par l'ambassade, vient récupérer dans les sous-sols Wang Li Fang (pl. 10, numérotation auteur) à la demande de l'ambassade. Il y récupère la disquette mais en revient blessé. On ne lui laisse pas le temps de s'expliquer : il est jeté aux ordures, à l’ignorance du lecteur. Mais ce souvenir restera gravé dans sa mémoire intégrée sous forme d’une puce électronique. C’est pour cela que les images des dernières minutes de sa vie vont hanter son successeur « clandestin » (Ditto n°2) tout au long de l’histoire auquel on a transplanté sa puce électronique. Ce ne sera qu’à la fin qu’il pourra donner un sens à ses souvenirs.
- le deuxième (Ditto n°2) est créé à la demande du "Chinois" (page 16 - introduite par la 15), pour remplacer le troisième (Ditto n°3), créé à nouveau par l'ambassade (planche 26) afin de la protéger lors du 4 juillet d’une tentative des services secrets chinois pour récupérer Wang Li Fang. Etant donné que le deuxième est créé sur les bases du cadavre du premier, il sera continuellement parasité par les souvenirs de son prédécesseur.
Les agents Ditto sont des agents clonés "jetables" une fois qu'ils ont été utilisés. On leur inculque une identité, un passé fictif, démontrant qu’ils sont les victimes d’un système de défense cynique et déshumanisé. Ils exécutent les ordres au nom d’une nation qu’ils pensent servir, pour un idéal de liberté. Les agents Ditto ignorent qu’ils sont des clones et deviennent par là-même des exécutants de premier choix. Mais une fois leur mission accomplie, ils sont jetés aux ordures comme un vulgaire kleenex. Pourtant, cette politique a une faille : le Chinois s’en sert afin de servir ses propres intérêts en récupérant un Ditto balancé dans un container qui appartient à une de ses propres sociétés.
Il est également utile de préciser que ces agents sont attachés exclusivement à l'ambassade ; c'est pourquoi le "Chinois" prend mille précautions pour que son petit jeu ne soit pas mis au grand jour.
Le "Chinois" est un homme d'affaire américain très puissant (dans tous les sens du terme, il ressemble davantage à une baleine qu’à un être humain) qui sert autant ses propres intérêts que ceux des USA en manipulant avec doigté et finesse des membres de la CIA et d’associations criminelles chinoises qui pourraient être assimilées aux triades (mafia chinoise). Dans l'histoire, il met en place un plan pour récupérer la disquette en faisant croire qu'elle a été volée et ensuite servir d'intermédiaire pour toucher les dividendes de la transaction. C’est une personne aux bras tentaculaires qui n’hésite pas à collaborer sans scrupule avec n’importe qui, dès qu’il y a de l’argent à la clef : quitte à vendre la même information à plusieurs intéressés.
Il ne faut pas oublier que la CIA ne travaille pas nécessairement pour les intérêts propres de l'ambassade (au contraire des forces spéciales de l'ambassade) mais pour l'intérêt général des USA à l'étranger. Entre la CIA et les services de l’ambassade s’est installée une sorte de guerre des polices, ce dont profite le "Chinois."
Le "Chinois" a donc récupéré les gênes du premier Ditto (n°1) jeté aux ordures pour en faire un clone (page 16) qui remplacerait celui de l'ambassade (pages 29-30) dans le but d'ouvrir la porte aux unités chinoises envoyées pour enlever Wang (pages 39 et 42). Il a donc fait prélever des gènes sur le Ditto mort sans savoir que c'est lui qui avait récupéré la disquette et fait enlever le microprocesseur intégré au cortex cérébral du premier Ditto afin de le greffer sur le "faux" Ditto (n°2).
Manipulation
Il y a une dualité et une confrontation entre les Etats-Unis, symbole du capitalisme, et, à l’opposé, la Chine, toujours sous la houlette du parti communiste qui pourtant compte en ses rangs des individus qui ont compris que l’argent donne accès à tout.
Malgré les différences politiques et structurelles entre les deux pays, ils ont beaucoup de points communs : la propagande d’état fait miroiter une idée de bonheur factice ; le premier s’appuyant sur une idée de liberté individuelle pour que chacun accède au bonheur matériel, le second usant d’une systématisation de la consommation de masse pour donner le sourire à ses citoyens. La Chine communiste décrite dans l’album a intégré le consumérisme capitaliste et l’économie de marché en l’adaptant à un cadre politique socialiste : elle a inventé l’économie de marché collectivisée (slogans publicitaires page 15). On y retrouve même le portrait du Grand Timonier, Mao.
Diplomatie
L’aventure futuriste se déroule principalement dans une Chine communiste. Les Américains n’ont, d’une manière officielle, pu mettre un poste d’observation au milieu de cet empire qu’en s’appuyant sur leur ambassade. Mais ce n’est qu’une façade pour cacher des approches ou des missions bien plus officieuses. Ce qui fait bien de Zhong Guo un récit d’espionnage. Les deux pays se livrent à une croisade sans merci en voulant se déstabiliser mutuellement et tirer profit du moindre traité signé entre eux.
Dans cette guerre impitoyable, les médias eux-mêmes sont des armes de manipulations qui exercent une pression non négligeable sur la partie adverse. Les deux nations ennemies, se prévalant d’une éthique exemplaire, créent en quelque sorte une croisade moderne. Pourtant, leurs revendications divergentes et opposées les réunissent sur de nombreux points : le pouvoir de l’argent, la manipulation des masses, l’utilisation implacable de l’humain comme outil.
Le contenu de la disquette vaut plus en information et en valeur marchande que la vie des individus qui la véhicule. Wang, malgré les belles promesses de l’ambassadeur sera sacrifié sur l’autel des intérêts personnels du « Chinois. » Les agents Ditto 2 et 3 vont en faire l’amère expérience à leur tour, eux qui croyaient pouvoir s’en sortir en se montrant d’un égal cynisme que leurs employeurs, ils se feront finalement reprendre sur le fil par les représentants du pays qu’ils étaient programmés pour défendre. Ils en savaient sans doute trop, c’est pourquoi leurs employeurs les mettent hors d’état de nuire. Car comme le fait remarquer l’ambassadeur « Tout s’achète, tout se vend. Ce n’est pas d’aujourd’hui. »
En fin de compte, sur le plan narratif, Zhong Guo est un récit d’espionnage futuriste de format classique qui lorgne volontairement vers le cinéma hollywoodien. Comme pour mieux détourner les valeurs de patriotisme et de moralité factices véhiculées par celui-ci en mettant en abîme le discours de l’ambassadeur et les actes des services de son ambassade qui fabrique et puis jette un être humain, dût-il être un clone, comme on se débarrasse d’un outil devenu inutile et usé.