
Infos générales :
> BD no. 42
> Les larbins
> Collection Grand public
> 44 pages
> Sorti en 2025
Editeur :
> Dupuis
Scénariste :
> Hermann
Dessinateur :
> Hermann
Résumé :
Embauché comme serveur au Silly Palace, Jeremiah remet à sa place manu militari Diky, le neveu du patron, qui l'a traité comme un larbin. Une sortie qui lui vaut curieusement de rentrer dans les bonnes grâces dudit patron, Maxwell, qui l'envoie travailler dans son ranch. Une manière pour Jeremiah d'éviter les foudres de Diky et de ses dangereux amis. Sauf que ce dernier n'a pas l'intention de lâcher l'affaire. Parce que Jeremiah lui a cassé le nez. Parce que Jeremiah l'a humilié. Parce que Jeremiah ne laisse pas indifférente la belle Irina, sur laquelle Diky a des vues. Et Kurdy, dans tout ça ? Il assiste à ce petit théâtre en profitant de la vie. Jusqu'au moment où la pièce tournera au drame. Ce qui risque vite d'arriver...
Analyse :
Le patriarche face à la décadence familiale
Maxwell incarne la figure du pouvoir absolu, calme, calculateur, cynique, il manipule sans jamais se salir les mains. En miroir, Dicky, son neveu, incarne la version grotesque du privilège : vulgaire, violent, infantile, il représente la déchéance du népotisme. Bien qu’il éprouve du mépris à l’égard de Dicky, il lui accorde néanmoins certaines libertés, probablement en raison de leur lien familial. Dicky en profite pour assouvir ses dérives.
Lorsque Jeremiah se rebelle contre l’humiliation infligée par Dicky, Maxwell ne le licencie pas, mais il le paie. Tout simplement par stratégie, pour mieux le garder sous contrôle. Et quand le désordre de son neveu devient intolérable, il ordonne avec froideur et logique son exécution.
La scène finale est d'une ironie mordante : Dicky, incarnation de la bêtise arrogante du pouvoir, meurt la tête dans une bouse de vache ; image grotesque, détournée de celle de l’homme redevenu poussière. Maxwell demeure intact, souverain d’un monde où ni le sang, ni la morale, ni la vie humaine ne comptent
Jeremiah, l’homme lucide et impuissant
Par nécessité, Jeremiah accepte un emploi de serveur. Un travail de “larbin”, comme le lui rappelle Wooley, le contremaître du ranch.
Le scénario suit d’abord le canevas classique du héros humilié (type cinéma d’action des années 80) qui finit par exploser et tabasser ses provocateurs : Dicky le roitelet et le cow-boy du ranch.
Les deux grandes bagarres (après l’humiliation du balai, puis celle du ranch à propos du plateau renversé) mettent en scène cette "violence stérile" : il se défoule, il gagne, mais rien ne change. La force n’amène ni justice ni délivrance, elle démontre la tension intérieure d’un homme trop lucide pour se soumettre, mais trop seul pour changer quoi que ce soit. Ce qui, dans le cinéma, serait un redressement de torts devient ici un geste vide, presque animal. Comme dans "Julius et Roma", où le justicier masqué n’a que le geste symbolique de renverser les poubelles (faute de pouvoir renverser la société),
Jeremiah frappe, se défend, reprend sa dignité un instant et à la fin de l’aventure, il retourne au travail faire du service. Ici, ses victoires ne réparent rien, ne bouleversent rien.
La culture face à la brutalité
Un motif récurrent chez Jeremiah est la lecture, même au milieu des cow-boys. Ce geste signale la tension entre le désir de compréhension et la brutalité du quotidien. Deux gardiens de bétail le méprisent ouvertement : « Boho !… un bouquin, c’est juste des feuilles à froisser… », et l’autre d’ajouter : « Ça fait aussi des économies sur les chiottes. Ça compte. » Dans cet univers de brutes, lire est une anomalie ; la seule réplique admise, c’est la violence. Après avoir encaissé les coups de Jeremiah, le cow-boy gît inconscient sous le regard sidéré des autres. Par vengeance, ils déchirent le livre en son absence : une attaque symbolique contre la pensée, le savoir et la réflexion.
Le choix de Milan Kundera n’est pas fortuit. Hermann l’a déjà cité dans Casino Céleste, mais ici, le clin d'œil devient véritable miroir : Jeremiah lit un auteur qui médite sur la mémoire, l’humiliation et le pouvoir — autant de thèmes qu’il traverse lui-même. Kundera incarne la résistance intellectuelle face à la mécanique sociale.
Pour Jeremiah, être un homme cultivé parmi les brutes, c’est trouver refuge dans la lucidité et porter le poids de l’impuissance. Lire, c'est pour lui une ultime forme d'humanité.
Kurdy et Irina : Le cynique et la sacrifiée
Kurdy ne travaille pas : il profite, mange, boit et reste spectateur dans le restaurant. Il incarne une liberté cynique, une lucidité paresseuse, et le rôle du profiteur. Là où Jeremiah survit par l’effort, Kurdy s’en sort en étant entretenu. Deux manières de survivre, mais toutes deux participent au même système.
Irina est la figure tragique, liée à Dicky par contrainte puisqu’il la paie pour sa compagnie. Elle reconnaît chez Jeremiah une pudeur morale, une droiture, une différence, espérant se sauver à travers lui. Son attirance est autant une quête de dignité qu’une tentative de sortir de sa condition. Mais chez Hermann, l’amour est rarement un salut : c’est une illusion brève, vite écrasée.
Sa robe bleue – « la seule qu’il m’ait donnée » – devient un symbole fort : c’est la même couleur que les cheveux de Dicky, une teinte froide et triste, signe de soumission. Elle porte littéralement les couleurs de son bourreau.
L’alcool joue ici un rôle cruel. D’habitude, c’est Kurdy qui boit, par habitude ; cela renvoie à l’image classique de l’homme viril qui tient l’alcool. Pour Irina, l’ivresse est au contraire désespérée : elle boit pour fuir sa vie, ce qui la mène à sa perte. À noter que Kurdy délaisse l’alcool pour un autre plaisir : la nourriture. Il suffit de comparer le dessin de couverture de Celui qui manque, où il tient une bouteille, à celui Les Larbins, où il savoure une crème brûlée.
Kurdy laisse Irina dans la chambre d’hôtel pour aller manger. Délaissée, elle tente de fuir son existence par l’alcool, mais, trouvant la bouteille vide, elle sort… et c’est ce qui la mène à sa fin.
Rien ne change
Vers la fin, Dicky, blessé mais encore vivant, subit la vengeance de Kurdy et Jeremiah. Kurdy, d’abord tenté de l’achever rapidement, décide finalement, à la mémoire d’Irina, de prolonger son agonie : il le fait souffrir, refusant une fin expéditive. Jeremiah intervient à son tour, forçant Dicky à marcher à quatre pattes dans la bouse, poussant plus loin l’humiliation. Il n’y a plus, ici, de héros justicier ou de celui qui fait sa loi : les deux agissent par colère, dépassant la simple justice pour se livrer à la vengeance pure.
La dernière planche boucle tout le cycle. Alors qu’ils pourraient savourer leur revanche, Maxwell intervient. Il veut régler une fois pour toutes le problème que représente son neveu ; il refuse néanmoins à Kurdy et Jeremiah le plaisir de l’humiliation : il ordonne à son homme de main, Wooly, d’achever Dicky, mettant un terme net à cette scène.
Et après ?
Rien. L’ordre des choses revient, implacable. Jeremiah retrouve sa place de serveur, Kurdy sa table au restaurant. Le monde reprend sa marche, identique à lui-même.
Rien n’a changé : ni les puissants, ni les faibles, ni la place de chacun.
Patrick
I just bought a Kindle version and am waiting for the paper version. The images and lettering appear sharper on paper. I don't know French and have to type all words to translate into English and Vietnamese. It's tedious but very worth it.
Je devrais l'acheter demain, en principe, si rien ne s'y oppose par ailleurs. L'achat d'un nouveau Jeremiah est toujours un moment important, souvenirs d'adolescence lorsque la BD en général et Hermann en particulier engloutissaient mon maigre argent de poche 🤗
Comme d'hab, à cette époque, j'attends début Novembre, anniversaire oblige ! 😊
I don't know French and have to type all words to translate into English and Vietnamese. It's tedious but very worth it.
Hello. I sincerely admire your passion for Jeremiah! (*)Now it may help to learn that Hermann has a peculiar way of writing dialogs in Jeremiah, so much that even a born-and-bred French guy like me, who's been reading Hermann since the 70s, sometimes-more than often!- wonders what their meaning is. So I guess if any particular dialog puzzles you, you are welcome to come back and let us know if we can help.
Huppenly yours. 😉
(*) By the way, are you aware of all the other albums Hermann has been producing? Yet again I suppose not all of them were made available in English ...
Dear Frenchauide,
Thanks so much for reaching out to a “Huppenly” novice like me with such warmth and generosity.
Reading Jeremiah has been a kind of boomerang experience for me. I was excited to find the first nine volumes in English, and then disappointed when the rest weren’t available.
About ten years ago, it was tough to buy French graphic novels in the U.S. I had to order some Jeremiah volumes from L’équipe 9ème Store online. I even tried translating Qui est Renard Bleu, and part of La Bête, but as you said, Hermann’s dialogue can be tricky. Even with several online dictionaries, I struggled—and eventually gave up.
This year, though, I got lucky twice:
- All Jeremiah volumes are now available on Amazon (Kindle and paperback).
- Bing Copilot-GPT4 has been a great help with translation. I type and upload the dialogues, and it handles them beautifully.
I’m a happy camper! So far, I’ve finished Fifty-Fifty and Simon et The Return, and I’m working on La Ligne Rouge.
That said, even with AI assistance, some phrases are still vague. If you’re open to it, I’d love to ask for your help when I get stuck.
By the way, I do own some other books (in English) by Monsieur Hermann and Monsieur Yves besides Jeremiah. I really enjoy both the artwork and the stories.
Warm regards— and please do keep in touch.
VNFire
Good for you! 😀This year, though, I got lucky twice:
- All Jeremiah volumes are now available on Amazon (Kindle and paperback).
I reckon you are not reading the Jeremiah series in chronological order, for want of albums available in English. Of course that's no big issue, but for your information there are some plot lines that evolve throughout the series, notably in the relation between Jeremiah and Kurdy.
Be back when you need it.
PS I wonder how the title of Jeremiah #36 was translated in English! 🤣
Now it may help to learn that Hermann has a peculiar way of writing dialogs in Jeremiah, so much that even a born-and-bred French guy like me, who's been reading Hermann since the 70s, sometimes-more than often!- wonders what their meaning is.
Tu as des exemples ?
Now it may help to learn that Hermann has a peculiar way of writing dialogs in Jeremiah, so much that even a born-and-bred French guy like me, who's been reading Hermann since the 70s, sometimes-more than often!- wonders what their meaning is.Tu as des exemples ?
Frenchauide n'a pas tort, la relation entre ces deux évolue surtout à partir de "Les Eaux de Colère" avec l'apparition de Lena.
Now it may help to learn that Hermann has a peculiar way of writing dialogs in Jeremiah, so much that even a born-and-bred French guy like me, who's been reading Hermann since the 70s, sometimes-more than often!- wonders what their meaning is.Tu as des exemples ?
Frenchauide n'a pas tort, la relation entre ces deux évolue surtout à partir de "Les Eaux de Colère" avec l'apparition de Lena.
Frenchauide parlait des dialogues dans Jeremiah dont la signification parfois lui échappe. Je lui demandais s'il avait des exemples précis de dialogues dont il avait eu du mal à percevoir le sens. Sa réflexion a piqué ma curiosité. 😉
Sur l'évolution de la relation entre Jeremiah et Kurdy, je pense qu'il n'y a pas vraiment de débat.
Ah, mille pardons, mon anglais made in Duolinguo laisse encore à désirer, j'avais cru comprendre qu'il parlait des relations Jeremiah /Kurdy au fil des épisodes (plot lines)
Ceci posé, j'ai fini Les Larbins, y'a t'il d'autres gars qui ont lu cet album ?
Dear Frenchauide,
You've caught me! I'm clearly spoiled by years of reading American comics, where action tends to be the main draw. So yes, I've gravitated toward the volumes with more visible action.
Like you said, there are certain characters—Lena, Stone B, Pryscillia, and others—who appear across multiple volumes, but don't always have a lasting impact on the overarching story. When Kurdy mentioned “Pryscillia” in Volume 36, I had to pause and trace her back—turns out she's his “nana” from Volume 16, La Ligne Rouge . That moment made me realize I'd been skipping some emotional threads.
And yes, I've just finished translating Volume 36, Le Plus Merde . In Volume 1, there's a scene where Kurdy says “Damnit,” so I figured the title might be rendered as “Double Damn”?
By the way, you made me think of all those French words that became popular in my dad's generation—words the Vietnamese blended into everyday speech alongside their native tongue. I've been racking my brain to recall them: même chose, aller-retour, tout de suite, merci, un-deux, point final, fini, cadeau… … And of course, merde —how could I forget?
Well, that'd be more like "And then shit", or "After all, shit !" In fact it doesn't properly translate into English. "Et puis merde !" means "I don't care after all". Of course the word "merde" isn't common among the titles of French book! 🤣In Volume 1, there's a scene where Kurdy says “Damnit,” so I figured the title might be rendered as “Double Damn”?
J'y songe sérieusement ! 😉Ceci posé, j'ai fini Les Larbins, y'a t'il d'autres gars qui ont lu cet album ?